Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome III.djvu/293

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dire les misères et les espérances de mes pareils, pour pénétrer dans tous les cercles de notre Enfer, pour recueillir les plaintes des ouvriers à perpétuité, pauvres forçats de naissance qui supportent le poids du jour et de la chaleur ; qui roulent, sous leurs pieds meurtris, le rocher de Sisyphe : je veux dire le boulet du travail forcé !


Muse des cieux obscurcis, toi dont le regard sombre attend toute la nuit l’étoile du matin, l’étoile d’espérance, Douleur ! prête-moi tes soupirs ! Et toi, mâle Courage qui permets à l’ouvrier de subir ses rudes peines, inspire-moi : pour que je lui donne conscience de tout ce qui détruit son corps, de tout ce qui dégrade son âme, de tout ce que son bras peut abattre dans sa bonne cause ! Réveillez-vous, mes sens ; toi mon estomac, crie ta douleur ordinaire ; regardez, vous les yeux de mon intelligence :

Voici. Le voile qui couvre la Passion du pauvre se déchire en long et en travers ; le vent qui gémit en écarte les lambeaux. Et ma vue plonge derrière, sur un spectacle affreux :

Les affamés se disputent dans les ruisseaux les miettes que les repus y laissent tomber avec dédain. Ce qui coule, ce sont des flots de larmes, des sueurs profuses, des rivières de sang. Ce qui sent mauvais, ce qui attire les mouches ce sont des chairs baveuses, des plaies grises, malignes et gangrenées. Ce qui blanchit, 455 vieillit, fend le cœur et épuise, ce sont les tremblements causés par les