Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome III.djvu/296

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Hélas ! la Misère étend sur le monde râlant ses deux bras qui grandissent. Où qu’il fuie, le prolétaire foule un sol occupé déjà ; c’est pour d’autres qu’il sème, pour d’autres qui se croient dans leur droit en l’épuisant. Où qu’il naisse, le prolétaire vit pour travailler et ne travaille pas pour vivre, mais pour suer, souffrir, maigrir, dépérir et mourir avant l’âge !

Hélas ! dans aucune ville d’Europe la détresse de l’ouvrier n’est plus grande que dans la belle cité de Turin. Nulle part elle n’est plus dépourvue de ressources, plus privée de remèdes, plus menaçante de s’éterniser. Nulle part le travailleur n’est aussi maltraité par le patron, aussi délaissé du pouvoir et des partis, aussi réduit à l’isolement, à la résignation. Nulle part il n’est plus morne, plus souffrant, plus chétif, plus désolant à voir. C’est ici que l’homme endure réellement l’exil, le martyre, le crucifiement de l’âme et du corps. C’est ici qu’il voit passer la vie des autres du fond de son tombeau !

Pleurez, femmes du Piémont ! Que vos beaux yeux fondent en larmes sanglantes ! Pleurez de désespoir, de rage et d’orgueil offensé ! Relevez-vous les premières : en Occident les hommes sont morts !


J’ai suivi le prolétaire piémontais pendant sa vie. Sur l’honneur, je ne croyais pas que le soleil pût éclairer des maux semblables. Et j’ai trouvé mon sort bienheureux en le comparant à son sort. Et j’ai béni l’exil qui m’amenait en face de cette