Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome III.djvu/298

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acquérir aujourd’hui la propriété d’un autre homme ! Pour vingt-cinq sous il a le droit de faire tout ce qu’il veut de cet autre homme, de le courber sous les fardeaux, de le forcer à la tâche, de le rôtir au feu, de le faire mourir de faim. Car cet autre homme est à lui depuis la pointe des cheveux jusqu’à la plante des pieds, d’une aurore à l’autre, et de nuit et de jour.

Oui, de nuit et de jour ! Hélas ! quand l’astre tout puissant est rendu de fatigue ; quand sur les arbres, parmi les herbes hautes, dans les maisons heureuses, tous les êtres vivants s’abandonnent au repos ; quand la nature est calme et murmurante ; quand la voluptueuse lassitude détend les membres ; quand le sommeil promène par les artères ses douces caresses ; quand le souffle égal d’une paisible respiration s’échappe de toutes les poitrines : quand tout se renouvelle…

C’est alors que l’ouvrier piémontais doit vieillir, se détruire, s’épuiser, s’user, sécher à la corvée ! Trois nuits sur six, il lui faut reprendre la tâche au moment où il espérait la quitter ; il lui faut s’affaisser sur elle avec l’estomac vide jusqu’à ce que son cœur se soulève de dégoût, jusqu’à ce qu’il en soit exténué, jusqu’à ce 458 qu’il en rêve, jusqu’à ce qu’il en devienne fou, jusqu’à ce que la tristesse s’empare de son âme au point de ne plus lui permettre de ressentir la virginité d’une impression quelconque. Et s’il ne le fait pas, c’est le renvoi de l’atelier, la suppression du salaire et du pain, la mort…… Le Droit du patron va jusque-là !