Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome III.djvu/311

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Il y a tant de misère dans ce pays que les plus chers instincts de la nature finissent par céder à la nécessité. L’inexorable paupérisme engendre la prostitution occulte et précoce. L’ouvrier, manquant de tout, ne doit pas voir le déshonneur de sa femme, la vente de son enfant et les messieurs bien mis qui frappent à sa porte pour introduire l’opprobre en son pauvre foyer. Il doit ne pas ressentir les plus mortels outrages ; il lui faut rester sourd aux réclamations de sa dignité, poser une main de glace sur les battements de son cœur et mille fois mourir de rage et de dégoût.

Il y a tant de misère dans ce pays que le travailleur est dépossédé de tout ce qui rendrait sa vie plus douce : des jouissances de l’esprit, des épanchements du cœur, des purs baisers des siens, de la paix de son âme. On lui a tout pris ; on a déformé son corps, souillé sa conscience, laissé son intelligence en friche comme un triste marais !


Ah ! si l’on pouvait réunir toutes les lamentations, tous les blasphèmes échappés à la patience du pauvre, toutes les larmes qu’il répand, tous les sanglots qu’il dévore, la voix des échos en serait obscurcie, les abîmes des océans et des enfers ne sauraient contenir tant de tortures. Et pourtant combien il faut qu’il en soit encore versé, de pleurs amers, avant que le dernier fasse déborder la coupe de bronze que l’impitoyable Monopole toujours présente aux hommes de sa main décharnée !