Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome III.djvu/342

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à regret au travail de minuit ? Ils regardent les couples qui se pressent pour regagner leur couche moëlleuse ; leurs yeux sont gonflés et rouges, leurs poumons pleins de sang ; leurs corps tremblent de ce froid que laisse après lui le défaut de sommeil ; leurs membres fléchissent, leurs flancs plient comme s’ils étaient frappés de mille coups de bâton. — Pourquoi les yeux sont-ils donnés à l’homme qui travaille, entouré de ténèbres ?

S’il n’y avait que ceux-là, les exploiteurs pourraient encore alléguer la nécessité du travail nocturne. Mais la concurrence exigeante, impérieuse, s’étend sur le troupeau des salariés, comme sur des moutons une louve en fringale. Loin de diminuer le nombre et la longueur des veilles, l’exploitation les exige plus fréquentes et plus complètes. — L’Enfer est sur la terre !

Adieu le sommeil et les joies de la nuit, travailleurs ! Adieu les heures d’épanchement après le frugal souper ! Adieu le bonheur, la santé, la force ! Tout cela vous est confisqué par la loi du plus riche et du plus fort. À la tâche, à la tâche donc ! — On ne se repose que sous terre !

Aujourd’hui les patrons sont tellement âpres au gain et les ouvriers si talonnés par la misère, qu’il n’est peut-être plus une fabrique où ne résonne toute la nuit le bruit assourdissant des instruments du travail. « Il le faut, disent les industriels ; les ateliers se multiplient comme l’herbe ; le marché vient à rien ; nous ne faisons plus d’affaires avec la bourse du consommateur