Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome III.djvu/85

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pitié méprisante, plutôt que la dictature matérielle des médecins ou les divagations psychiques des savants ! Non, je ne laisserai pas mon âme à cette dissection torturante !

— Que je vous cite un exemple de la justesse de nos idées conventionnelles :

À vingt ans j’étais interne à la Salpêtrière, et j’y traitais des folles : on m’appelait philosophe. Aujourd’hui, si l’on me renfermait à Bicêtre, on m’appellerait fou. Travaillez donc dix ans de 321 votre vie pour arriver à ce résultat ! Oh ! si j’allais ne point avoir la force de mourir !

Cependant je ne puis aller plus loin. Le sombre Suicide me bat de son aile de soufre, il me fascine comme un épervier ; autour de ma tête il agite de formidables épouvantements. La Mort a pris mon cœur pour oreiller.

Homme ! Couvre des oripeaux de la grandeur ton épaule superbe, gonfle ton crâne d’axiomes et de paradoxes retentissants, brille au dedans, brille au dehors : tu ne dépasseras pas ton heure. Le Destin est suspendu sur ta tête comme le tranchant d’une hache.

Je le jure par la froideur de ma logique ordinaire, si la conscience d’une grande œuvre à accomplir, si la perspective rapprochée d’une réputation scandaleuse pouvaient arracher un homme à la mort, je serais cet homme. Car j’ai la passion du travail, et sur mes lèvres prophétiques, je tiens le mot des énigmes qui passionnent l’Humanité. Mais quoi ! je suis terrassé par le mal…