Page:Cabanès - Grands névropathes, Tome III, 1935.djvu/116

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semaines, puis toutes les semaines ; en 1813, neuf ans après le début, ce sera tous les jours. Il est alors arrivé, dit-il, à dix ou douze mille gouttes, soit plusieurs verres à bordeaux dans sa journée. Il ne diminue les doses que dans des circonstances exceptionnelles, comme lors de son mariage avec une jeune fille qu’il adorait et qu’il rendit très malheureuse, on n’en saurait douter.

Trois ans plus tard, un revers de fortune l’abat et il se reprend à boire du laudanum à fortes lampées. C’est alors qu’un voile épais s’étend sur son intelligence, tout travail lui devient odieux, tout effort d’attention lui est pénible. Sa volonté est anéantie, sa conscience seule ne sombre pas dans le naufrage de ses facultés. Il ne sort de cette torpeur, de cette aboulie, que pour éprouver des hallucinations, des rêves terrifiants.

« La nuit, écrit-il, quand j’étais éveillé dans mon lit, d’interminables, pompeuses et funèbres processions défilaient continuellement devant mes yeux, déroulant des histoires qui ne finissaient jamais et qui étaient aussi tristes, aussi solennelles que les légendes antiques d’avant Œdipe et Priam. »

À d’autres moments, il lui semblait — non pas métaphoriquement, mais à la lettre — « descendre dans des gouffres et des abîmes sans lumières, au delà de toute profondeur connue, sans espérance de pouvoir jamais remonter  ».