Page:Cabanès - Grands névropathes, Tome III, 1935.djvu/119

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fesseur n’arrivait pas, et cependant j’attendais avec impatience que ce drap qui me cachait le cadavre fût soulevé. Cet instant vint enfin ; je m’étais figuré quelque chose de beaucoup plus horrible. Je riais de mes camarades que le mal de cœur prenait. Mais lorsque le scalpel vint à entrer dans la chair, je m’enfuis à toutes jambes.

Cette impression reçue dans ma jeunesse donna lieu à un rêve qui m’a fait beaucoup souffrir.

Il me semblait que j’étais couché, et que je m’éveillais dans la nuit ; en posant la main à terre pour relever mon oreiller, je sentais quelque chose de froid qui cédait lorsque j’appuyais dessus. Alors je me penchais hors de mon lit et je regardais : c’était un cadavre étendu à côté de moi. Cependant je n’en étais ni effrayé ni même étonné. Je le prenais dans mes bras et je l’emportais dans la chambre voisine, en me disant : Il va être là couché par terre ; il est impossible qu’il rentre si j’ôte la clef de ma chambre.

Et là-dessus je me rendormais ; quelques moments après, j’étais encore réveillé ; c’était par le bruit de ma porte qu’on ouvrait, et cette idée qu’on ouvrait ma porte, quoique j’en eusse la clef sur moi, me faisait un mal horrible. Alors je voyais entrer le même cadavre que tout à l’heure j’avais trouvé par terre ; sa démarche était singulière : on aurait dit un homme à qui l’on aurait ôté ses os sans lui ôter ses muscles, et qui, essayant de se soutenir sur ses membres pliants et lâches, tomberait à chaque pas. Pourtant il arrivait jusqu’à moi, et se couchait sur moi ; c’était alors une sensation effroyable, un cauchemar dont rien ne saurait approcher ; car, outre le poids de sa masse informe et dégoûtante, je sentais une odeur pestilentielle découler des baisers dont il me couvrait. Alors je me levais tout à coup sur mon séant en agitant les bras, ce qui dissipait l’apparition. Un autre rêve lui succédait.

Il me semblait que j’étais assis dans la même chambre, au coin de mon feu, et que je lisais devant une petite table où il n’y avait qu’une lumière ; une glace était devant moi au-dessus de la cheminée, et tout en lisant, comme je levais de temps en temps la tête, j’apercevais dans cette glace le cadavre qui me poursuivait, lisant par-dessus mon épaule dans le livre que je tenais à la main. Or ce cadavre était