Page:Cabanès - Grands névropathes, Tome III, 1935.djvu/178

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mêmes et s’enfermer dans leurs propres pensées.

Une nature aussi affinée ne pouvait que malaisément s’accommoder de la vie en commun ; aussi, peu habitués qu’ils étaient à la société de jeunes gens de leur âge, les deux frères Tennyson se montrèrent-ils, au début, d’une timidité confinant à la maladie[1]. Lorsqu’ils arrivaient dans le vaste hall où se prenaient les repas, leur nervosité était telle qu’ils s’arrêtaient derrière la porte, paralysés par la crainte, quitte à retourner dans leurs lodgings l’estomac vide[2].

Peu à peu ils s’acclimatèrent, et Alfred surtout ne fut pas longtemps à conquérir des sympathies et des admirations, mitigées, d’ailleurs, de critiques à l’occasion. Le poète se montrait fort sensible à ces dernières et ne supportait pas toujours les observations avec sérénité. Elles le blessaient au vif et le souvenir ne s’en effaçait que lentement de son âme ulcérée.

Certain jour, après la lecture d’un de ses poèmes, un de ses camarades avait murmuré dans son coin quelques paroles, entre lesquelles Tennyson crut distinguer cette injure : « Tête de morue bouil-

  1. Il suffisait d’une circonstance futile pour le décontenancer, au dire de quelqu’un qui fut témoin de son embarras ; les yeux innocents d’une jeune fille de quinze ans pouvaient le geler complètement. De là cet air « timide et déprimé » qui frappa tant Hawthorne en 1857.
  2. Arth. Waugh, Alfred Tennyson, 21.