Page:Cabanès - Grands névropathes, Tome III, 1935.djvu/205

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n’était pour les pauvres, j’enverrais le piano à tous les diables ! »



LISZT

Il détestait être sollicité. Un jour, il reçut une invitation à déjeuner, suivie de cette recommandation : « Surtout, n’oubliez pas le piano ! » Chopin fit apporter au domicile de l’hôte peu délicat un piano, avec sa carte où il avait écrit : « Voici l’instrument demandé ! » — et il s’abstint de se rendre au déjeuner : leçon bien légitimement donnée au surplus.

Au genus irritabile n’appartiennent pas seulement les poètes ; tous les artistes, en général, ont l’épiderme sensible. On a souvent conté cet épisode auquel Chopin est encore mêlé : une dame, d’autres disent un banquier célèbre, qui ne brillait pas spécialement par le tact, l’avait invité. Aussitôt le repas fini, l’amphitryon s’approche du musicien. « Et maintenant, maître, n’aurons-nous pas le plaisir de vous entendre ? » À quoi le maestro ripostait, d’un air contrit : « C’est que j’ai si peu dîné !… » Et sans ajouter un mot il prenait congé de la société.

Il avait pourtant la faiblesse de se piquer d’être mondain et passait, en son temps, pour ce qu’on appelait un lion. Ceux qui l’ont connu à cette époque s’accordent à dire qu’il n’avait jamais été beau, « même de la passagère beauté que donne souvent la jeunesse ». Ils nous le représentent « très grand, très maigre, le nez en bec d’oiseau de proie,