Page:Cabanès - Grands névropathes, Tome III, 1935.djvu/303

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assurément très puissants. Il ne cesse de voir autour de lui ennemis ou espions !

« Tous mes secrets sont, je m’en suis convaincu depuis longtemps, des secrets de polichinelle (en français dans le texte russe), écrit Gontcharov à un de ses correspondants, mes secrets d’auteur surtout. Comment cela ? Je ne m’en rends pas nettement compte moi-même. On a inspecté mon âme en tous ses recoins, jusqu’à m’empêcher de penser, d’écrire… Il s’est formé une meute de limiers, une bande de dupes (pour dupeurs, sans doute), pour épier mes pensées, saisir mes paroles… »

Un de ses neveux a conté qu’il arrivait à Gontcharov de rentrer tout en émoi chez lui, de demander si personne n’était venu durant son absence, d’aller droit à son bureau, d’en ouvrir et refermer fiévreusement les tiroirs, en disant sur un ton animé : « Tourguénev est venu fouiller ici… Quelqu’un est venu fouiller dans mes papiers… La troisième section (direction de la police secrète) me surveille… Il faut être d’une extrême prudence… »

Dix ans plus tard, il n’ose plus ouvrir les fenêtres de son appartement, s’habille en toute saison comme en hiver, se croit menacé d’une attaque d’apoplexie ; il en a la constante hantise ; il la sent « rôder » autour de lui ; « tantôt c’est comme un coup de fouet dans l’oreille » ; tantôt il doit, dans la rue, s’appuyer contre un mur, pour ne pas tom-