Page:Cabanès - Grands névropathes, Tome III, 1935.djvu/335

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On a souvent comparé Dostoïevsky à J.-J. Rousseau. Comme Rousseau, Dostoïevsky, en effet, a profondément remué, ébranlé les bases sociales de son pays ; mais « l’ombrageux philanthrope » de Moscou nous offre bien d’autres points de ressemblance avec le « délirant persécuté » de Genève. Chez tous deux on retrouve « mêmes humeurs, même alliage de grossièreté et d’idéalisme, de sensibilité et de sauvagerie ; même fonds d’immense sympathie humaine, qui leur assura, à tous deux, l’audience de leurs contemporains ».

Il y a plus : comme Jean-Jacques, Dostoïevsky s’est, pour ainsi parler, « vivisecté » ; mais il a poussé plus loin que le philosophe atrabilaire le souci, l’angoisse de « l’écriture ».

C’est un martyr[1], un forçat du verbe, trahissant à tout moment son désespoir de ne pas atteindre l’idéal de perfection dont il a tant cherché à se rapprocher. L’année de sa mort, encore, n’écrivait-il pas, dans un accès de désespérance : « Je sais que moi, comme écrivain, j’ai beaucoup de défauts, parce que je suis, le premier, bien mécontent de moi-même ; vous pouvez vous figurer que, dans certaines minutes d’examen personnel, je constate avec peine que je n’ai pas exprimé littéralement la

  1. « Un des plus tragiques exemples d’un martyr du travail cérébral », écrit un de ses biographes.