Page:Cabanès - Grands névropathes, Tome III, 1935.djvu/63

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Prométhée rongé par le vautour, il ne concevait pas, disait-il, que Dieu pût le désagréger morceau par morceau. Ce n’est pas une divinité de la Grèce qui aurait traité de la sorte un poète ; elle l’aurait plutôt frappé de la foudre. Mais il se consolait, à l’idée qu’au travers de tant de misère physique il conservait intacte toutes ses facultés, et que la séparation entre la matière et l’esprit devenait chaque jour plus sensible.

« Je suis à la veille, écrivait-il à Mignet, de rentrer dans le giron des croyances les plus banales. Je commence à m’apercevoir qu’un tout petit brin de Dieu ne saurait nuire à un pauvre homme, surtout quand on est couché sur le dos, travaillé par les tortures les plus atroces. Je ne crois pas entièrement encore au ciel, mais j’ai déjà l’avant-goût de l’enfer par les brûlures qu’on vient de me faire sur la colonne vertébrale[1] ! »

Sur ces entrefaites, avait éclaté la Révolution de 1848. Très affecté par certaines révélations[2] qui l’avaient atteint en plein cœur, Heine sentit son

    Et la veille même de sa mort, à un ami qui s’informait anxieusement s’il s’était réconcilié avec Dieu, il répondit en souriant :
    — Soyez tranquille, mon cher, Dieu me pardonnera : c’est son métier.

  1. Lettre du 17 janvier 1849.
  2. Cf. Heine intime, par le baron Embden, 187 et suiv.