Page:Cadiot - Minuit.pdf/104

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cria-t-il en s’élançant dehors, ne vais-je pas me mettre en retard maintenant ! Ces jeunes gens sont tous fous !

Cette péroraison mit un terme aux velléités d’ambition, qui naissaient dans la cervelle de Naigeot. Il courut à son travail, termina sa besogne journalière, et revint se coucher avec la régularité machinale du cheval borgne, qui depuis dix ans tourne la même meule.

C’était en effet une misérable créature, que cet homme au crâne jauni, aux mornes regards, à la démarche pesante. Jamais peut-être, les êtres déshérités que la médiocrité de leur intelligence, l’étroitesse de leur cercle, la maie-chance et mille causes, ont condamnés à traîner une pénible existence à l’aide d’un labeur incessant et infructueux, n’avaient été personnifiés dans un type plus complet.

Pourtant, François Naigeot était doué au plus haut point, de toutes les vertus sociales qui acquièrent ou conservent la fortune : la patience, l’économie poussée presque jusqu’à l’avarice, l’ordre, l’absence complète de passions. Une seule chose avait agité sa vie ; un seul mobile l’avait fait agir : c’était la peur de manquer, c’était l’horreur de la misère.

Et, par une contradiction étrange, mais plus fréquente qu’on ne serait disposé à le croire, Naigeot s’était condamné toute sa vie aux plus dures privations, pour se tenir à l’abri du besoin. Jamais, même pendant les années de la jeunesse, il ne s’était donné la satisfaction d’un désir. Jamais, il n’avait oublié l’avenir dans