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fille du marquis de Maugreland, émigré bien authentique ; et la noblesse ne pouvait l’admettre ; car sa mère était une simple paysanne alsacienne, jadis servante de M. le marquis. Ensuite, elle était savante, ayant lu tout ce qu’il y avait de livres et dans la bibliothèque xviiie siècle du feu marquis, et dans la bibliothèque xviie siècle de M. l’archiprêtre Le Garouiller, curé de la paroisse ; puis ayant fait venir, le plus qu’elle avait pu, des publications contemporaines. Or, je vous le demande, lesquelles des dignes matrones de la ville de *** en eussent fait leur société ? Quant aux hommes, elle était laide et même, ajoutaient-ils, un peu revêche. Jugez.

À proprement parler, elle n’était pourtant pas méchante, car on citait d’elle des traits exquis ; mais, à côté, elle avait des paroles terribles : appelant par leurs vilains noms toutes les petites faiblesses d’esprit et de conscience pour lesquelles le langage du monde a des euphémismes, son code, des indulgences.

Et puis quelle vie bizarre elle menait !… Tantôt bêchant son jardin et taillant ses arbres comme une simple paysanne, avec des sabots aux pieds et un grand chapeau de paille sur la tête ; tantôt ayant quasiment l’air d’un moine dans une grande robe de chambre brune qu’elle portait l’hiver au coin de son feu. Ne sortant jamais, si ce n’est pour aller à l’église ou veiller