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c’était l’expression de ce visage, surtout, qui devait être délicieuse, à en juger par ce qui demeurait encore, malgré les dix années de la vie uniforme, froide et lourde d’une toute petite ville de province.

En province, dans un centre de population de six ou huit mille âmes, les années sont-elles de six mois ou de dix-huit ? — Voilà ce que je me suis souvent demandé ; certes, elles sont plus courtes que les années des capitales, si la capacité s’en mesure aux événements et aux émotions dont elles sont remplies ; mais comme elles sont plus longues, si on les évalue à la puissance de l’empreinte qu’elles marquent sur les visages !

On dit — et cela semble naturel — que les émotions et les agitations vieillissent avant l’âge : comment donc voyons-nous les hommes politiques, rompus par la lutte ardente des plus grands intérêts, conserver jusqu’à quatre-vingt-deux ans la jeunesse d’un lord Palmerston ? des artistes, sur la brèche, depuis un demi-siècle, produire, à quatre-vingts ans passés, la musique fraîche et pimpante d’un Auber ! — Comment voyons-nous tant de ces femmes du monde, brûlées depuis l’adolescence jusqu’à l’âge mûr au feu des lustres, épuisées par les veilles, harassées par les obligations constantes d’une vie de parade, plus jeunes, à cinquante ans, que tant de femmes de province à trente-cinq ? Les ressorts humains, physiques et moraux, seraient-ils comme des engrenages qui