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Offrit, par pure complaisance,
Un secours expérimenté.
Dès l’abord, il fut écarté ;
Mais, y mettant quelque insistance,
Il usa de son éloquence
Et finit par toucher, du doigt,
L’endroit
Où gisait la souffrance.


Surprise et charmée à la fois,
Sémire n’avait plus de voix ;
Ses yeux, perdus dans un nuage,
Semblaient dire à l’étudiant :
— « Ah ! monsieur, que c’est donc dommage
« De n’avoir su ça qu’à présent !… »


L’entretien fut long, je vous jure ;
C’est qu’il leur plut, probablement ;
Et d’ailleurs, on m’assure
Qu’ils en reparlèrent souvent.


Mais si doux que soit un sujet.
Si la façon dont on le traite
Ne change pas, on use son effet.
Il faut glisser quelque amusette,
Pour intéresser l’auditoire ;
Car autrement.
Pour ce qui touche au dénoûment,
Dam ! c’est toujours la même histoire !…


Ne pouvant varier la chose,
Connaissant l’effet et la cause,
Et les appréciant d’ailleurs,
La brune Sémire eut l’envie
De varier, au moins, les interlocuteurs,
Je l’ai dit, elle était jolie,
Il ne manqua pas d’amateurs.
Celui-ci parlait lentement,
Cet autre parlait vite ;
Si bien que la belle petite
Se surprit, un jour, écoutant
Deux orateurs à la fois !…


Je dis deux ; c’est peut-être trois ;
Le nombre n’y fait rien, je pense.
Quoi qu’il en soit, il arriva
Qu’à la fin, elle déplora
Son faible à l’inconstance.
— « Qu’en va penser le bon Bramah,
« S’il apprend jamais tout cela… ? »
Gémit-elle, éperdue.
Mais le dieu, l’ayant entendue,
Sans nul retard,
La prit à part.


— « Qu’as-tu ? » dit-il d’un air affable.
— « Ah ! Bramah, je suis bien coupable ;
« J’ai trop aimé ! »
— « Peuh ! fit le dieu, voyons l’affaire ;
« Peut-être est-ce par charité.
« Je suis juste, fort et sévère ;
« Mais, en certains cas, très coulant !… »


Remise un peu, la belle enfant
Lui raconta son aventure,
Dévidant la nomenclature
Des bienheureux qu’elle avait faits.
— « Eh quoi ! dit Bramah, tes larmes
N’ont pas d’autres sujets ?…
« À grand tort tu t’alarmes.
« Aussi bien, petite, crois-moi,
« Et reprends confiance.
« J’en sais qui font bien pis, ma foi !
« Et n’ont pas tant de repentance. »,


L’attirant à lui doucement,
Il ajouta, d’un air riant :


— « Crois-en l’auteur de toutes choses :
« La constance n’est pas une obligation ;
« Car je n’ai pas créé les roses
« Pour l’amour d’un seul papillon.
« Sache, enfin, que bouche baisée
« Ne perd ni son éclat ni sa fraîcheur ;
« Tout lui revient, comme à la fleur,
« Sous une goutte de rosée. »


1859 — Édouard Cadol[1]



Directeur littéraire : ALBERT de NOCÉE, Bruxelles, 69, rue Stévin, 69

Librairie Nouvelle, Bruxelles, 2, boulevard Anspach, 2.
Librairie Universelle. Paris, 41, rue de Seine, 41.
  1. Né à Paris, le 11 février 1831.