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VIII


Presque tous les ouvrages publiés en France et en Algérie sur le droit musulman ne sont que des compilations de traductions plus ou moins exactes. — Les compilateurs, à peu d’exception près, ne connaissent pas même l’arabe parlé ; dès lors, il leur est absolument impossible de confronter avec les originaux les traductions que souvent ils altèrent, de bonne foi, en les arrangeant. — D’un autre côté, s’ils se hasardent à puiser dans les sources, il arrive que les interprètes oraux, dont le secours leur est indispensable, ou n’ont aucune notion de droit, ou ne connaissent pas la langue des manuscrits, ou ne connaissent pas celle de la traduction, tout ce qui sort de l’association de si pauvres moyens, ne présente, on le sent bien, aucune garantie de fidélité ni de savoir[1].

  1. Mon ouvrage était terminé, lorsqu’une brochure : Études sur l’islamisme et le mariage des Arabes en Algérie, m’est parvenue et m’a démontré que mon opinion sur les compilateurs est fondée. M. Meynier, qui en est l’auteur, dit, page 152, que le mariage est surtout une vente, et, à l’appui de son assertion, il cite ce passage qui, d’après lui, émanerait de Sid-Khalil : « Je te vends ma fille pour telle somme. » Or, Sid-Khalil n’a jamais tenu ce langage ; il savait très-bien que la fille que l’on marie ne peut être assimilée à une esclave que l’on vend, car on est bien obligé de reconnaître qu’il y a une différence sensible entre la vente et le mariage. Il examine seulement si cette expression : « Je t’accorde une telle pour épouse, implique l’idée de durée égale à la durée de la vie, c’est-à-dire la durabilité des liens du mariage, de même que, dans le cas de vente et non dans le cas de mariage, ces mots : « je te vends » impliquent, par exemple, un dessaisissement sans retour, sans limite de temps. Et lorsque, dans un autre passage, Sid-Khalil dit : la femme, en se mariant, vend une partie de sa personne, c’est-à-dire son champ génital, cela signifie seulement que la copulation est licite dans le mariage. Maintenant, si les auteurs font des rapprochements entre le mariage et la vente, ce n’est pas parce qu’il y aurait analogie entre ces deux contrats, mais bien parce qu’en droit musulman, les principes qui régissent la vente s’appliquent aux contrats en général, de même que le titre IIIe du Code Napoléon, régit les contrats ou les obligations conventionnelles en général. En résumé, le contrat de mariage, d’après le droit musulman, est un des contrats les plus saints et les plus solennels de la vie, et surtout un contrat qui n’a aucun caractère mercantile, comme l’indique cet axiome : « Ennikah’ mebni ’âla el-mokarama oua el-bi’â mebni ’âla el-moqachah’a : le mariage est fondé sur la générosité, tandis que la vente a pour mobile l’intérêt. » — Dans le mariage, la femme est loin d’être une chose, une esclave, dont le mari serait le seigneur et le maître absolu, comme l’ont prétendu certains publicistes distingués ; car il suffit de lire Ibn-Salamoune et tous les auteurs, pour voir