Aller au contenu

Page:Cahiers de la Quinzaine, 4e série, n°5, 1902.djvu/21

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fougueuse au joug minutieux de la réalité. C’est qu’il avait de cette réalité une vision autre que Flaubert, et capable justement d’emplir les cadres d’une imagination romantique.

Il était peu curieux de détails et de particularités personnelles ; et l’on peut dire, comme on l’a dit, que c’était faute d’une sensibilité assez délicate et d’une psychologie assez pénétrante ; mais ce pouvait être aussi bien parce que, dans l’humanité actuelle, les groupes lui semblaient avoir plus de valeur que les individus, l’être collectif plus de vie positive que chacune de ses unités composantes. C’est bien là une façon de voir démocratique, et j’ai eu raison de soutenir qu’il est le peintre, ou si on veut le poète, le chantre de la démocratie.

Sans doute, chacun des individus qu’il crée est visible, tangible, de vérité si obsédante que la plupart sont demeurés inscrits au calendrier de nos types littéraires, et que dans le langage courant, leurs noms propres sont devenus des noms communs ; mais le dessin en est aussi élémentaire que précis. Ses personnages vraiment réels sont les personnes civiles, les groupes, une famille, une contrée, une ville, une mine avec ses mineurs : ils ont d’autant plus d’âme qu’ils embrassent plus d’individualités diverses, et les deux êtres qu’il a le mieux fait vivre sont la Foule et la Nature.

Voilà où il a mérité son titre de naturaliste. Il ne fallait pas le lui refuser si vite, mais seulement s’apercevoir que pour un tel homme, un tel titre ne peut signifier je ne sais quelle entomologie. C’est au sens le plus transcendant du mot que Zola est naturaliste. Il a aimé ardemment l’objet, le décor, les choses : celles que la nature produit elle-même et directement, celles aussi qu’elle produit par l’entremise et par l’industrie de l’homme, et au premier rang la machine, qu’il a chantée en vrai poète de ceux qui peinent. Il a aimé ardemment la vie. Il a senti la joie de vivre : d’abord de façon si âpre et si chagrine que ces deux mots inscrits en tête d’un de ses livres y font l’effet d’une ironie ; — plus tard avec une sérénité profonde. Et je note que son optimisme, un peu artificiel peut-être aux jours de triomphe,