Page:Cahiers de la quinzaine, série 13, cahier 8, 1911.djvu/28

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n’être point aimé l’irrite ou l’indigne. C’est le seul homme qui ne soit pas plus petit, à mesure qu’on le voit plus susceptible.

Rien ne lui sied moins que les usages de la haute société. Ce n’est pas qu’il soit d’allures ni de mœurs populaires. La vulgarité lui est encore plus étrangère que la distinction naturelle à l’homme du monde. Il n’est bien vêtu et bien élevé que selon sa propre règle. L’effacement est la politesse, en société. Une âme originale, plus qu’au génie, fait crier au scandale. Si les gens du monde sont une monnaie d’or, pour qu’elle ait cours, il faut que la pièce ne soit plus neuve, que la frappe ait cessé d’être nette, que l’effigie ne se laisse pas reconnaître. D’or ou de plomb, un Dostoïevski ne souffre pas d’être effacé. Il peut avoir l’élégance de sa simplicité, dans la mise la plus simple ; mais il ne sait pas porter l’habit ; il n’est pas à l’aise dans les vêtements que la coutume impose, ou la mode : il y est déguisé. Il y a des hommes qui transparaissent, quoi qu’ils fassent, à travers tous les usages du monde : ils offrent le scandale de la nudité. Les usages ne sont faits que pour donner une enveloppe commune à l’animal commun. Tel héros de salon n’est lui-même que dans l’habit de tout le monde. Mais Dostoïevski ne peut vêtir l’habit de tout le monde sans paraître porter une défroque, et s’être glissé dans le vêtement d’autrui.

§

Plus il tâche à vivre en société, et moins il est sociable.

Plus il aspire à l’amour, moins il se croit digne d’être aimé. Il ne peut se faire à l’idée d’être tout pour les