Page:Cahiers de la quinzaine, série 13, cahier 8, 1911.djvu/36

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bler au prince Muichkine, qu’il a seulement lavé de toute chair, et décharné jusqu’à le rendre exsangue. La barbe est pauvre, irrégulière, longue d’ailleurs, roussâtre, à reflets gris.

Il a de grandes oreilles, hautes et épaisses, plus longues que le nez. Des poches sous les yeux, et deux fossés de rides, un double ravin des narines aux lèvres. Toute la face est large et maigre, avec de gros plis. À la joue droite, s’arrondit une verrue bien populaire.

Et voici les yeux, qui sont toute la vie. Clairs, pâles, de vieille ardoise, assez reculés dans l’orbite meurtrie, ils sont étroitement bridés du haut, et cousus par la paupière supérieure au sourcil.

Ils sont pleins de tristesse voilée, où perce une pointe de feu, le grain noir de la prunelle, qui tantôt s’éteint dans la rêverie, tantôt luit en vrille. Sous les sourcils froncés, quel regard admirable ! Présent, et à l’affût, mais non pas de ce que voit le monde : il cherche la profondeur ; il guette l’homme intérieur ; il plonge au dedans ; il dépasse l’apparence. Il ne tient pas à rien cacher de lui-même, ni ses sentiments, ni ses idées. Avec une attention passionnée, il se donne. Il offre à toutes peines toute la douleur dont il dispose. La souffrance est toujours présente. Dostoïevski est le grand cœur, que je trouve sain malgré tout, parce que la grandeur, selon moi, est la seule santé.

Regard d’un terrible sérieux, et presque dur, tant il surveille, sombre, le moment de bondir sur sa proie. Mais une immense tristesse y réside. Une tristesse religieuse, et quasi populaire : la tristesse de la misère, la tristesse du charpentier qui essaie les bois de la vie, qui fait voler tous les copeaux de la conscience, et qui