Page:Cahiers de la quinzaine, série 13, cahier 8, 1911.djvu/59

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vile, par l’âme au seuil de la connaissance. Elle est là, comme une peau de rat, crevé de la peste, dans une rue de Chine ; et la foule est autour, le peuple des hommes ou le peuple des vers.

Et quand la chair retrouve l’esprit, qu’il daigne rentrer en elle, et la combler de sa présence — ô Dieu, je te recouvre ! — la serve conscience hésite : elle va lentement, par le dédale ; elle vacille, comme épuisée ; elle tâte les murs de la prison ; elle compte les pierres, et les mousses, et les araignées, et les insectes hideux, et les larves dans les fentes. Elle reconnaît son chemin, en ne négligeant pas un signe, en renouvelant les plus humbles démarches par l’ingénuité des pas qu’elle tente : elle découvre, comme si elle venait de naître, ce qu’elle a connu et pratiqué naguère, mais dont elle a perdu le souvenir.

Et telle est aussi l’allure de Dostoïevski, quand il explore un sentiment ou les raisons d’un acte. Pareil à la main invisible et souveraine, dont le tact allume la vie, il suscite ce qu’il retrouve ; à mesure qu’il en énumère les éléments, il les anime et il les organise. La grande création des caractères est un dénombrement de l’âme par un créateur en passion.

Ils sont redoutables, ces moments qui ont le goût et le sens de l’éternel. Et il est fatal qu’une sorte de mort suive un instant de vie divine. Il faut au moins payer d’une mort temporaire ce vol au delà du temps. Il faut perdre connaissance, pour racheter la terrible faveur d’avoir eu, un moment, la toute connaissance.

Au fond, il n’est pas vrai qu’on puisse tenir l’équilibre entre la chair et l’esprit. Toujours l’un des deux