Page:Cahiers du Cercle Proudhon, cahier 5-6, 1912.djvu/75

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une œuvre excellente. Je dis mieux : c’est l’œuvre par excellence ; puisque la société, en fait, n’est qu’un moyen divinement voulu pour le développement final de l’individu en vue de Dieu. C’est la personnalité individuelle de chacun qui doit être perfectionnée, afin de devenir membre du corps éternel des élus. Du mouvement universel des êtres, de l’action des hommes, de leur organisation et de leurs institutions, il ne demeure qu’un seul résultat éternel, la formation individuelle des hommes choisis de Dieu et leur adaptation, dans le corps mystique du Christ. Puisqu’elle occupe une telle place dans l’économie de la vie humaine, la sanctification individuelle est bien véritablement une œuvre excellente. Mais enfin, dans l’ordre providentiellement établi par le Créateur, ce bien doit être produit par l’organisme qui s’appelle la société. Cette œuvre doit donc être sociale.

Mais cette œuvre excellente ne devient sociale que lorsque les individus auront été façonnés, formés et adaptés à leur rôle social, lorsque ces pierres auront été arrangées en édifice. L’avons-nous fait ? Hélas… – Quel est l’édifice fondamental de toute société ? — La famille. — L’avons-nous reconstruite ? Il y a dans notre méthode d’œuvres quelque chose qui lui a nui grandement, et c’est pour cela que notre méthode est par certains côtés antisociale. Qui ne voit qu’en nous substituant aux personnes responsables, en assumant leur rôle, nous les avons encouragées à se décharger de plus en plus de leur responsabilité, et qu’ainsi nous avons aggravé le mal ? Qui ne voit qu’en séparant les membres de la famille dans des œuvres différentes, destinées à la remplacer, nous avons porté les derniers coups à l’arche sainte et parachevé sa dissociation ?

Notez, je vous prie, que je ne parle en ce moment que des œuvres concernant la famille, et point du tout de la multitude des œuvres de religion, d’instruction, de défense sociale, politique ou économique, etc. je ne puis pas embrasser tant de choses à la fois. Ce serait jeter par trop de confusion dans votre esprit que de vouloir analyser d’un seul coup d’œil notre situation sous toutes ses faces. Bornons-nous, afin d’être plus sûrs d’y voir clair. Et, dans nos œuvres familiales, je cherche à vous signaler un vice antifamilial, sans prétendre vous dire dans quelle mesure il s’est infiltré sa chacune, ni quel nombre d’œuvres il a envahi. Je ne prétendes point établir une statistique, mais affirmer des principes. Il y a des œuvres en qui le mal a fort peu pénétré, d’autres dans lesquelles il s’est insinué plus avant ; mon plus ardent désir est qu’elles s’en guérissent.

Dieu veut sauver les individus, mais il le veut par la société ; car la société est le moyen de perfectionnement providentiel pour l’individu. Ce perfectionnement, la société l’opère par les personnes sociales. En dehors de là, rien de vital ce te fait. Nous avons voulu sauver des individus, mais nous ne l’avons pas fait par le moyen des personnes sociales. En avons-nous sauvé beaucoup ? De cette immense multitude d’individus qui passent dans nos œuvres, combien en préservons-nous ? Combien persévèrent ? Il faut l’avouer, le succès est une exception. Et si quelques inditidus font honneur au dévouement dont ils sont l’objet, où sont les institutions vraiment sociales que nous avons préparées ? De toutes nos œuvres, si nombreuses et si coûteuses, combien y en a-t-il qui soient des fondations d’avenir ? Ce que l’on a cherché dent la plupart, ne sont-ce pas des palliatifs ? Palliatifs trompeurs, hélas ! qui peuvent corriger momentanément certains effets de la maladie, mais qui en laissant subsister la cause, quelquefois en l’aggravant.