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entretenir leur vie temporelle et spirituelle. L’erreur, la grande erreur des œuvres sociales, qui trouvaient les individus mal soutenus par des groupements mi-détruits, a été de vouloir se substituer aux personnes sociales, et de chercher à sauver les individus et non les personnes sociales responsables de leur salut social et religieux. La plus importante de ces personnes sociales, la famille, a été ainsi désorganisée par de bonnes âmes qui voulaient sauver ses membres individuellement. On a marché à reculons.

On pourrait se demander si cet individualisme des œuvres n’a pas été parfois volontaire. La famille qui a été le plus désorganisée, c’est la famille ouvrière. Certaines bonnes âmes qui voulaient sauver individuellement ses membres en plaçant l’enfant à la crèche, le jeune garcon à l’internat, la jeune fille au patronage, le mari à l’hôpital, le vieux père à la maison de retraite, n’obéïssaient-elles pas, sans s’en rendre compte, aux suggestions de chefs d’industrie qui n’auraient pu, sans leur secours, faire accepter le régime industriel et les bas salaires par des paroisses composées de fortes familles chrétiennes ? C’est une question que nous nous posons. Le lecteur y répondra après avoir lu les Réflexions d’un ami, dont nous publions ici quelques pages, choisies parmi celles où l’auteur a concentré ses critiques de fond :

L’idée Mère de nos Œuvres. – Contentons-nous, si vous voulez bien, d’étudier ce que nous avons essayé d’organiser au point du vue domestique. Quelle est, à ce point de vue, la conception qui a présidé l’organisation de nos œuvres catholiques ? Nous avons vu des individus se perdre ; ce sont la plupart du temps de pauvres êtres, que la désorganisation sociale a jetés dans l’abandon et l’impuissance. Vite nous nous sommes dit : Sauvons ces malheureux. Et nous nous sommes mis à l’œuvre sans hésiter. Au tout petit bébé, que la famille ne peut pas nourrir, vite une crèche, au bambin, qu’elle ne peut pas garder, vite un asile ; à l’enfant, qu’elle ne peut pas protéger, un patronage ; à celui qu’elle ne sait pas élever, une école ; à l’orphelin à qui elle manque, un orphelinat ; à la jeune fille, qu’elle ne sait pas former, un ouvroir ; au jeune homme, qu’elle ne retient plus un cercle ; au malade qu’elle ne soigne plus, un hôpital. Ce mouvement de pitié sur tant de misères a été superbe, il est digne de l’âme du christianisme. Mais ce mouvement s’est-il exercé d’une manière profitable à la société ? Qu’avons-nous fait, trop souvent du moins ? Deux choses. Premièrement, nous avons vu des individus à sauver, et nous avons voulu les sauver : tel a été notre but. Pour les sauver, nous nous sommes substitués aux personnes sociales, qui ne remplissent pas leur devoir, et nous nous sommes chargés de leur rôle. Telle a été notre méthode. But et méthode sont-ils sociaux ? Le but n’a, par lui-même, rien de social ; et la méthode arrive vite à être antisociale. Je m’explique.

Sauver les individus, les retirer ou les préserver du mal, les mettre ou les maintenir sur la voie du bien et de leur perfection, je l’ai déjà dit, est