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SOREL ET L’ARCHITECTURE SOCIALE

mençant nos travaux, nous avons salué la mémoire du grand Proudhon. Aujourd’hui, nous vous invitons à rendre hommage au maître dont le nom est si souvent prononcé parmi nous : vous entendez tous que je nomme le grand philosophe Georges Sorel.

Messieurs, Sorel s’est défendu de faire des disciples. Il se peut qu’il ait raison. Il n’a pas construit un système de l’univers ; il n’a même pas construit de système social ; on ne pourrait même point dire qu’il impose à ceux qui le suivent des méthodes ni des doctrines. Ses admirateurs sont dispersés. Les uns sont catholiques ; les autres sont hors de l’Église ; d’autres, ils sont nombreux, ont rejoint Maurras et l’Action Française. Mais son influence, pour n’être pas dogmatique, n’en est pas moins extrêmement profonde et très étendue. Et s’il ne se trouve pas de disciples, ceux qui lui sont attachés le regardent comme un véritable maître. Ce grand maître sans disciples est écouté passionnément par une foule nombreuse et ardente. Cela s’explique par ce fait que, s’il n’a pas donné à cette foule de directions précises, il lui est apparu comme un prodigieux excitateur intellectuel, qui révèle à chaque esprit qui l’entend ses propres directions. Je crois que c’est là un des principaux secrets de la grande influence, de la maîtrise de Sorel : il a éveillé notre pensée, il l’a surexcitée, il lui a donné, je ne dirai pas des directions, mais des moyens nouveaux de comprendre le monde, de pénétrer dans ses parties les plus obscures, de relier les phénomènes qui paraissaient séparés, de s’enrichir enfin, et de se dépasser à chaque découverte. Ceux qui ont suivi Sorel ont connu de fortes émotions : c’étaient celles qui naissent dans le cortège de l’explorateur heureux. J’en appelle au témoignage des hommes de ma génération qui, ayant passé par le froid désert de la rue Saint-Guillaume ou par les