Page:Cahiers du Cercle Proudhon, cahier 5-6, 1912.djvu/31

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Oui, que devient dans sa sieste éternelle le genre humain ? Proudhon le demande, avec l’énergie sobre et toute classique de sa langue admirable, et, je vous le demande après lui, à vous, syndicalistes, que j’ai le regret de trouver parmi ces « pacificateurs ineptes » dont parle Proudhon. Nous savions que l’esprit bourgeois avait pénétré tout le socialisme international, mais nous espérions que le syndicalisme français avait échappé à l’embourgeoisement universel. Or, il est triste de constater que, lui aussi, il n’envisage l’avenir humain que sous la forme d’une « sieste éternelle » et qu’on ne voit plus ce que l’humanité peut devenir si la classe ouvrière, après la bourgeoisie, la laisse s’amollir et croupir au sein de la platitude d’une paix éternelle.

Il y a, en tout cas, un fait certain et qui domine tout : c’est que l’Europe actuelle, régentée par la Finance, recule devant la guerre, comme devant un inconnu formidable susceptible de déplacer le centre du pouvoir politique et de dégager des facteurs révolutionnaires imprévus. La Ploutocratie internationale est pacifiste par instinct et par intérêt : elle sent bien qu’un réveil des sentiments guerriers et révolutionnaires et qu’une remontée des valeurs héroïques ne pourrait que nuire à sa domination toute matérialiste. M. Pareto, dans l’article que j’ai déjà cité, écrit ces lignes remarquables : « La seconde catégorie (spéculateurs et financiers), si on laisse de côté de nombreuses exceptions individuelles, est lâche, comme l’étaient au Moyen-Âge les Juifs et les usuriers. Elle a pour arme l’or et non le fer ; elle sait ruser, elle ne sait pas combattre ; chassée d’un côté, elle revient de l’autre, sans jamais faire face au danger ; sa richesse augmente tandis que son énergie décroît ; épuisée par le matérialisme économique, elle en vient à ignorer de plus en plus l’idéalisme