Page:Cahiers du Cercle Proudhon, cahier 5-6, 1912.djvu/95

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tentaient de conduire les classes ouvrières à ta trahison contre la France.

Enfin, nous avons continué de chercher des républicains. Tous les républicains du Cercle étaient devenus royalistes. En mars dernier, nous vîmes venir à nous un des derniers républicains qui vivent en France celui-là était un vrai, du vieux parti, et laïque, et, chose extraordinaire, il était jeune. Nous l’accueillîmes avec honneur : il fut heureux de passer une soirée avec nous ; nous lui parlâmes de nos espoirs et de nos votontés qui sont ardents ; il nous parla de sa vie chez les républicains, ce qui était en somme assez triste, et il en convenait ; il venait chez nous pour purifier son esprit, et pénètre pour dissoudre son inquiétude, qui était grande. Nous nous quittâmes cordialement, après lui avoir remis des livres. Quelques jours après, il écrivait à l’un de nous une lettre d’adieu. Il s’était « ressaisi » et il nous disait :

Je viens de prendre connaissance de votre livre, et lui ai consacré, tant il a suscité en moi de pensées et remué d’idées, ma soiree entière et une partie de la nuit. Et je vous prie de croire que je suis loin de penser avoir perdu mon temps. C’est qu’en effet, il ne fallait pas moins d’un choc semblable pour me faire reprendre mes sens.

Je serais bien peu homme de goût, Monsieur, si je n’avais apprécie d’emblée la valeur philosophique et morale de votre ouvrage, abstraction faite de la richesse de la forme. Comme on voit que vous ne vous êtes pas départi de ce puissant esprit critique qui fouille, pénètre et frappe l’obstacle et dont peuvent s’enorgueillir seuls, les privilégiés que développe une forte culture anarchiste ou socialiste ! l’esprit critique, c’est-à dire le seul facteur de progrès !…

Mais si l’ensemble constitue un tout d’une homogénéïté parfaite, il me faut vous avouer loyalement que, pour cette raison même, je repousse en bloc, complètement, absolument, sans qu’il me soit possible d’en garder la moindre miette, le développement de votre pensée, puisque les premisses, la base, le soutènement de votre œuvre me paraissent rigoureusement inacceptables et dangereux.

Combien, Monsieur, je suis heureux que soit dissipé désormais tout malentendu entre nous ! Étudier Proudhon, tel est bien mon plus vif désir, mais serait-ce le même homme que nous aurions en vue ? J’ai bien peur que non. Le mien c’est celui qui n’a pas craint de dire : « Je ne veux être ni gouvernant, ni (soulignant ce mot) gouverné' et c’est surtout celui qui a dit : notre tâche à nous, publicistes, c’est de préserver la Révolution des périls dont sa route est semée ». J’en voit un, plus dangereux que d’autres, et c’est pour le combattre que je me réclame de Proudhon, le seul socialistequi l’ait vu aussi. Enfin, « mon » Proudhon c’est celui qui a dit : « J’ai refusé de concourir à une restauration monarchique… »

Voici qui est net, je pense, et vous ne me tiendrez pas rigueur de vous avoir parlé loyalement comme on s’exprime entre Français de vieille souche. Et, comme j’ai pu apprécier la charmante courtoisie dont vous avez bien