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JOURNÉE I, SCÈNE II.

coquin, s’approchant

Holà ! Dieu me pardonne ! vous parliez de la jument, monseigneur, et j’accours.

don gutierre.

Retire-toi, imbécile.

l’infant.

Et pourquoi ? — Son humeur me plaît.

coquin.

On a parlé de la jument ; c’est comme si l’on avait parlé de moi, et j’ai dû entrer en scène. Je prends fait et cause pour elle.

l’infant.

Qui es-tu, mon garçon ?

coquin.

Ma foi ! cela n’est pas si difficile à deviner. — Je suis… je suis.. je suis enfin, — de mon nom Coquin, fils de Coquin, écuyer et pourvoyeur de la jument. Je suis chargé de sa pitance ; je lui rogne chaque matin la moitié de sa portion. Et maintenant, seigneur, comme c’est aujourd’hui votre fête, je vous fais mon compliment.

l’infant.

Comment ! c’est ma fête aujourd’hui ?

coquin.

Oui, monseigneur ; n’êtes-vous pas tombé ? Ne dit-on pas ordinairement : Tel saint tombe un tel jour ?… Eh bien, moi, je dirai désormais : Tel jour est tombée la saint infant don Henri.

don gutierre.

Seigneur, si votre altesse, malgré mes instances, est toujours résolue à partir, il me semble qu’il vaut mieux peut-être qu’elle n’attende pas davantage. Voilà que le jour disparaît peu à peu, et la nuit aura pris bientôt sa place.

l’infant.

Vous avez raison, il faut que je parte. Le ciel vous garde, belle Mencia ! Je profiterai du conseil que vous m’avez donné, je chercherai cette dame, et j’apprendrai d’elle sa justification. (À part.) Quel dépit, d’être obligé de se taire ou de parler à mots couverts, lorsqu’on aurait à dire tant de choses ! (Haut.) Je vous salue, don Gutierre. Adieu de nouveau, belle Mencia.

L’Infant se retire, suivi de don Arias et de don Diègue.
don gutierre, à Coquin.

Et toi, va-t’en, s’il te plaît.

coquin.

Certes, oui, je vais voir partir ma jument. Pauvre bête ! pourvu qu’on nous la rende ; ce serait là une perte !

Il sort.
don gutierre, à doña Mencia.

Chère maîtresse de mon âme, malgré toute la joie que j’aurais à rester près de vous je vous demande, au contraire, de me per-