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JOURNÉE II, SCÈNE III.

ricardo.

Seigneur, c’est un vain fantôme formé par la peur.

eusebio.

Moi ! j’aurais peur !

celio.

Montez donc.

eusebio.

Je monte, bien que cette éclatante lumière m’éblouisse. J’irais à travers la flamme, et tout le feu de l’enfer ne m’arrêterait pas.

celio.

Le voilà entré !

ricardo.

Ce doit être quelque idée, quelque illusion produite par une terreur secrète.

celio.

Ôte l’échelle.

ricardo.

Maintenant, il faut l’attendre jusqu’au jour.

celio.

Il faut en convenir, il a de l’audace. Pour moi, j’aurais mieux aimé passer la nuit auprès de ma petite villageoise ; mais je réparerai plus tard le temps perdu.

Ils s’éloignent.

Scène III.

Le corridor d’un cloître. Une suite de cellules. — Il est nuit.
Entre EUSEBIO.
eusebio.

J’ai parcouru tout le couvent sans qu’on m’ait entendu ; j’ai pénétré dans vingt cellules dont la porte étroite était entr’ouverte, et je n’ai pu trouver encore Julia. Ô destin ! que veux-tu de moi ? Où me conduisez-vous, incertaines espérances ?… Quel silence ! quelles ténèbres ! quelle horreur !… J’aperçois de la lumière dans la cellule voisine, et, si je ne m’abuse, cette religieuse, c’est Julia !… (Un rideau se lève, et l’on aperçoit Julia endormie.) Qu’est-ce donc que le sentiment que j’éprouve ?… pourquoi tardé-je à lui parler ?… D’où vient cet instinct qui me fait hésiter, tandis qu’un autre instinct secret me pousse vers elle avec une force irrésistible ? Qu’elle est belle sous cet humble vêtement !… Ne serait-ce pas que chez la femme la beauté c’est la pudeur ?… Et cette beauté merveilleuse, objet désiré de mon amour, produit en moi un étrange effet : par son charme et sa grâce, elle enflamme mes sens, et par sa chasteté elle m’impose le respect. — Julia ! Ah ! Julia !

julia.

Qui m’appelle ?… Ô ciel ! que vois-je ?… N’est-ce pas l’ombre de ma pensée qui s’est réalisée sous mes yeux ?