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NOTICE SUR CALDERON.

Or, que voulez-vous que disent ces galans en une position si délicate ? Ne sont-ils pas forcés, comme Simonide, de se rejeter sur l’éloge de Castor et Pollux, ces astres éclatans ?

De même, les déclamations de Calderon s’expliquent, la plupart du temps, par la situation de ses personnages. Ainsi, par exemple, dans l’Alcade de Zalaméa, d’ailleurs si admirable, lorsque Isabelle, après l’outrage affreux qu’elle a reçu dans la forêt, se présente sur la scène, seule, les vêtemens déchirés, les cheveux en désordre, au moment où le jour va paraître, elle s’écrie : « Ah ! puissé-je ne plus voir la lumière du jour, qui ne servirait qu’à éclairer ma honte !… Ô vous, fugitives étoiles, ne permettez pas que l’aurore vienne sitôt vous remplacer dans la plaine azurée du ciel ; son sourire et ses larmes ne valent point votre paisible clarté ; et s’il faut enfin qu’elle paraisse, qu’elle efface son sourire et ne laisse voir que ses larmes !… » Certes, dans la situation où se trouve Isabelle, cela est bien froid, cela est bien faux. Mais comment voulez-vous qu’elle apprenne au public son horrible malheur ? Comment voulez-vous qu’elle confie à deux mille spectateurs, dont les regards sont fixés sur elle, ce qu’elle oserait à peine confier à sa mère en se voilant le visage de ses mains ?… Dès lors ces déclamations, qui, dans un ouvrage destiné à la lecture, ne seraient pas supportables, on pourrait les expliquer, sinon les justifier, par les exigences de la scène et de l’effet théâtral.

Shakspeare a une manière de procéder à peu près semblable. Chaque fois qu’il fait raconter sur la scène un événement public, il se sert du langage le plus propre à nous en montrer la grandeur, quelle que soit la position sociale du personnage qu’il charge du récit : c’est ainsi qu’on peut voir, au début de Macbeth, avec quelle pompe le soldat raconte la victoire remportée par Macbeth et Banquo sur le roi de Norwége. Le poète aura craint, sans doute, que l’événement ne perdît de son importance s’il était raconté dans le langage habituel au messager, et alors il a élevé le langage du messager à la hauteur de l’événement (19).

Puisque nous sommes sur la diction de Calderon, une remarque à faire, c’est que l’on rencontre fréquemment dans ses comédies certains mots, — destin, fortune, étoile, — qui