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JOURNÉE II, SCÈNE I.

le roi.

C’est ainsi que tu me témoignes ta reconnaissance pour t’avoir tiré de prison et t’avoir fait prince ?

sigismond.

Et comment pourrais-je vous être reconnaissant ? Que me donnez-vous donc ? Me donnez-vous autre chose que ce qui m’appartient, et ce que la mort vous forcera bientôt de quitter ? Vous êtes mon père et mon roi ; donc votre pouvoir, votre fortune, vos titres, tout cela me revient de droit naturel ; et loin que je sois votre obligé, c’est moi, au contraire, qui pourrais vous demander compte de ce que vous m’avez privé si longtemps de mon rang et de ma liberté. Ainsi, remerciez-moi de ce que je ne vous fais pas payer ce que vous me devez.

le roi.

Insolent et barbare, tais-toi… Le ciel a tenu sa menace, et je vois en toi tout ce qu’il avait annoncé ; mais, bien que tu saches à présent qui tu es, et que tu te voies en un lieu où tu ne reconnais pas de supérieur, je t’en avertis, prends-y garde, sois humble, doux, humain ; car autrement, bien que tu te croies éveillé, tu t’apercevrais peut-être que tu n’as fait qu’un rêve.

Il sort.
sigismond.

Que dit-il ? Qui ! moi, je rêve, bien que je me croie éveillé !… Non je ne rêve point, car j’ai conscience de ce que j’ai été et de ce que je suis… Aussi a-t-il beau se repentir, il ne peut plus revenir sur le passé. Je sais qui je suis, et il a beau soupirer, se désoler, crier, il ne peut empêcher que je ne sois l’héritier de sa couronne. Quand je me suis laissé emprisonner, j’ignorais qui j’étais ; mais à présent, je sais qui je suis, et je sais que je suis un composé d’homme et de bête sauvage.

Entre ROSAURA, sous des habits de femme.
rosaura, à part.

Je viens ici rejoindre la princesse, avec la crainte de rencontrer Astolfe. Clotaldo désire qu’il ne me voie pas et ne sache pas qui je suis ; il dit que cela est pour moi de la plus haute importance, et je me confie à sa prudente affection, d’autant que je lui dois déjà l’honneur et la vie.

clairon.

De tout ce que vous avez vu ici, monseigneur, qu’est-ce qui vous plaît le plus ?

sigismond.

Rien ne m’a étonné, je m’attendais d’avance à tout cela ; une seule chose aurait pu me causer de l’admiration, c’est la beauté de la femme que j’ai vue… Je lisais un jour, je ne sais plus dans quel livre, que l’être qui doit le plus de reconnaissance à Dieu, c’est