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JOURNÉE III, SCÈNE II.

clotaldo.

Il est noble de donner, mais la reconnaissance est le devoir de celui qui reçoit. Or, si, en donnant, je me suis montré généreux, je dois me montrer reconnaissant de ce que j’ai reçu. Laissez-moi donc mériter tout à la fois la réputation d’homme généreux et celle d’homme reconnaissant.

rosaura.

De vous j’ai reçu la vie, et en me la donnant, vous m’avez dit vous-même qu’une vie déshonorée n’était point la vie. Donc, vous ne m’avez rien donné, puisque ce que vous m’avez donné n’était point la vie ; et si, comme vous en êtes convenu tout à l’heure, la générosité passe avant la reconnaissance, commencez par vous montrer généreux ; vous serez ensuite reconnaissant.

clotaldo.

Eh bien ! je serai généreux avant tout. Je vous donne toute ma fortune, Rosaura ; retirez-vous dans un couvent. Par ce moyen, qui me semble heureusement trouvé, nous évitons un crime, et vous avez un asile sûr et paisible. Lorsque le royaume est déjà si divisé, et si malheureux par ses divisions, un homme noble ne doit pas les augmenter ; et en vous proposant ce parti, en même temps que je demeure fidèle à mon roi, je me montre généreux envers vous et reconnaissant envers le prince. Décidez-vous donc, je vous prie, à l’accepter ; car je ne ferais pas plus pour vous, vive Dieu ! alors même que je serais votre père.

rosaura.

Quand bien même vous seriez mon père, j’aurais peine à souffrir cette injure ; et puisque vous n’êtes pas mon père, je ne la souffrirai pas.

clotaldo.

Que comptez-vous donc faire ?

rosaura.

Tuer le duc.

clotaldo.

Eh quoi ! une femme qui ne connaît point son père aurait tant de courage ?

rosaura.

Certainement.

clotaldo.

Qui peut vous l’inspirer ?

rosaura.

Le soin de ma réputation.

clotaldo.

Songez donc que bientôt…

rosaura.

Mon honneur brave tout.