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NOTICE.

très intéressant de Ginez Ferez de Ilita, intitulé Histoire des guerres civiles de Grenade[1]. Il est d’autant plus curieux que, s’il faut en croire G. Perez, il tenait ce récit de son héros lui-même.

À l’époque de l’investissement de Galère[2], se trouvait dans la place une jeune sœur du capitaine Malech, qui était allée y voir des dames de ses parentes. Elle fut tuée dans l’assaut, ainsi qu’un grand nombre d’autres femmes. Elle se nommait Malélia, et la réputation de sa beauté était répandue dans tout le royaume de Grenade…

Le capitaine Malech apprit à Purchena ces événemens. Il en fut extrêmement affligé, et chercha quelqu’un qui pût aller secrètement à Galère, savoir des nouvelles de sa sœur, reconnaître son corps parmi les cadavres, si elle était morte, et savoir où on l’avait emmenée, si elle était captive. Un jeune More, qui voulait être beau-frère de Malech, et qui servait sa sœur depuis long-temps, s’offrit pour ce message, promit de savoir de ses nouvelles, et, si elle était prisonnière de se présenter à don Juan, de la racheter, et d’aller s’établir avec elle à Huescar ou à Murcie.

Dans ce dessein, le More prit congé de Malech, monta sur un beau cheval et prit le chemin de Galère. Arrivé à Orca, il trouva la ville déserte ; néanmoins il enferma son cheval dans une maison qu’il connaissait, et entra dans Galère au milieu de la nuit, par un temps pluvieux. Il fut consterné de retrouver cette ville si différente de ce qu’elle était ; il vit avec épouvante les rues pleines de cadavres, contre lesquels il trébuchait à chaque pas, et ne pouvant pas même se reconnaître dans ces rues, à cause des traverses dont on les avait coupées, il fut obligé d’attendre le jour pour retrouver la maison où logeait sa dame quoiqu’il la connût bien. Il passa ainsi la nuit debout appuyé contre un retranchement.

Au lever de l’aurore, le brave More monta dans un lieu d’où il pouvait apercevoir le camp de don Juan, fut émerveillé de sa grandeur, et revint en hâte vers la maison de sa dame. En entrant dans la cour, il y vit plusieurs hommes morts, et plus loin plusieurs femmes égorgées, parmi lesquelles se trouvait sa chère Maléha. Il la reconnut bien. Quoiqu’elle fût morte depuis trois jours elle était aussi belle que si elle eût été encore vivante ; seulement elle était trop blanche, à cause de la perte de son sang. Elle était en chemise, les chrétiens l’ayant dépouillée de ses autres vêtemens ; et cela indiquait encore quelques sentimens d’honnêteté dans le soldat qui l’avait tuée, puisque cette chemise était riche et brodée en soie verte, suivant la coutume des Morisques.

Le jour de la prise de la ville, on avait sonné la retraite à la nuit tombante et, depuis, la pluie avait été si violente, que les chrétiens n’avaient pu revenir dans la place pour en abattre les fortifications, comme l’avait ordonné don Juan. C’était pour cela que le corps de Maléha se trouvait encore revêtu de sa chemise ensanglantée. Elle avait reçu deux blessures, toutes les deux à la poitrine, et c’était un spectacle digne de grande compassion de voir une telle beauté traitée avec tant de barbarie.

Lorsque le More eut reconnu sa dame, il la prit dans ses bras, et, pleurant à chaudes larmes, il lui disait mille choses tendres et plaintives couvrait sa bouche décolorée de baisers, s’écriant : « Mon bien ! espérance de mon amour ! t’ai-je donc servie sept ans pour n’obtenir cette faveur de laquelle j’aurais fais ma plus douce

  1. Chap. xxii et xxiv.
  2. Au mois de janvier de l’année 1570.