Page:Calderón - Théâtre, trad. Hinard, tome II.djvu/82

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
72
BONHEUR ET MALHEUR DU NOM.

lequel nous eûmes chacun une part égale de bonheur et de malheur ; car le destin voulut, dans son équité, que le favorisé mourût et que le dédaigné restât vivant… Après cette triste aventure, il vous en souvient, je quittai Parme, mais sans que l’absence pût changer en rien mes sentimens ; et cela vous montre, sans doute, combien ma chaîne est étroite et forte, puisque le temps qui détruit tout a été impuissant à la détruire. Après certains délais, le duc monseigneur, voyant que personne ne se portait partie dans sa cause, ce qui tient sans doute à ce que Lisardo, un frère de l’infortuné Laurencio, qui, depuis sa plus tendre jeunesse, est en Allemagne au service de l’empereur, n’a point voulu me poursuivre en justice, réservant, je crois, à son courage une plus noble vengeance ; enfin le duc a été libre de m’accorder mon pardon, et je suis rentré à Parme, en y ramenant avec moi mon amour et ma jalousie ; — car si l’amour, quand il est seul, peut oublier, l’amour jaloux n’oublie jamais ; — et là je trouvai Violante, s’il est possible, plus intraitable et plus cruelle, comme si ma conduite eût été pour elle un outrage et eût augmenté ses mépris. Mais enfin, — pour revenir à ce que je disais tout-à-l’heure, — comme il n’y a point de diamant, il n’y a point d’acier, il n’y a point de pierre, il n’y a point de feu qui ne finisse par se rendre, car l’on travaille le diamant, on polit l’acier, l’eau creuse la pierre, et le vent apaise le feu : de même Violante, par un de ces miracles que l’amour a faits tant de fois, si nous en croyons l’antiquité, s’est laissé gagner à la pitié, et elle vient de m’écrire que demain…


Entre FABIO.
fabio, à don César

Seigneur ?

don césar.

Que me veux-tu, imbécile ?

fabio.

Le duc vous attend. Il m’a chargé de vous dire, aussitôt que je vous trouverais, que vous alliez lui parler sans retard.

don césar, à don Félix.

Voyez quel est mon malheur ! si je veux raconter mes tourmens, mes angoisses, j’ai du temps de reste ; et lorsque je vais vous conter mes joies et mes bonnes fortunes le temps me manque… mais j’achèverai tout-à-l’heure ; veuillez m’attendre, je reviens.

don félix.

Vous n’avez plus grand’chose à me dire ; j’entrevois assez clairement que Violante veut enfin correspondre à votre amour. La beauté la plus dédaigneuse en apparence est toujours au fond du cœur content d’être aimée.

Don César sort.
tristan.

Vous avez bien raison, monseigneur. — Moi, comme je courtisais,