Page:Calderón - Théâtre, trad. Hinard, tome II.djvu/84

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
74
BONHEUR ET MALHEUR DU NOM.

ni ne servez aucune dame[1]. Et pour que vous connaissiez toute ma disgrâce…

don félix.

Achevez, don César ; vous m’inquiétez.

don césar.

Le duc a appris que le prince d’Urbin était arrivé en secret à Milan, où il vient, j’imagine, prendre le commandement des troupes de l’Empire contre les Suisses ; et comme il est fort de ses amis et son proche parent, il m’envoie avec cette lettre lui présenter son compliment de bienvenue, et m’a ordonné de partir à l’instant même. Vous concevez sans peine l’embarras où je me trouve : car si je ne pars point, je m’expose à perdre les bonnes grâces du duc, et si je pars, je perds l’occasion que j’ai le plus souhaitée en ma vie ; d’autant que Violante, ignorant le motif et la nécessité de cette absence, pourra croire que je veux par là me venger de ses anciens mépris, et reprendra contre moi une haine que l’orgueil blessé rendra cette fois inflexible.

don félix.

Je n’ai qu’une chose à vous dire ; c’est que vous pouvez, sans qu’on le sache, rester ici jusqu’à demain, et que de bons chevaux de poste vous feront regagner le temps perdu.

don césar.

Cela est impossible, car le duc m’a commandé de partir en poste sur-le-champ, et dans un voyage de six jours en perdre deux est beaucoup.

don félix.

Eh bien ! vous pouvez avertir Violante en lui exprimant tous vos regrets.

don césar.

Je puis, en effet, m’excuser auprès d’elle ; mais tout cela ne me rendra pas l’occasion que j’avais pour demain, grâce à l’absence de son père.

don félix.

Mais que dit la lettre ?

don césar.

Que voulez-vous qu’elle dise ?… ce sont les complimens ordinaires.

don félix.

Y êtes-vous nommé ?

don césar.

Oui suivant l’usage, sous cette formule : « César Farnèse, mon cousin, va en mon nom, etc., etc. » C’est le style usité, afin que la personne à qui l’on adresse la lettre sache les égards qu’elle doit a la personne qui la porte.

  1. Il y a ici dans l’original une grâce intraduisible. Elle tient à la ressemblance qu’à le nom de Félix avec le mot feliz, qui signifie heureux.