À vous dire vrai, je n’en suis pas trop fâchée.
Le proverbe a raison : il n’y a point de mal qui ne puisse devenir un bien. Et je l’éprouve aujourd’hui mieux que personne, puisque vos ennuis peuvent me donner de la joie. J’ai appris, belle Béatrix, qu’une contestation survenue entre vous et votre père vous a conduite ici. Je regrette de devoir à un motif semblable le bonheur que je reçois, et que de la même cause puissent sortir pour nous deux effets si différents, comme, dit-on, de l’aspic vient à la fois et le poison et la thériaque. Mais soyez toujours la bienvenue. Dans cette courte hospitalité, le soleil, j’aime à croire, ne se trouvera point mal en compagnie d’un ange[1].
Vous mêlez si bien l’expression de votre joie et celle de vos regrets, que je ne sais à quoi répondre. — Si j’ai eu querelle avec mon père, la faute en est à vous. Il ne sait pas quel est le galant, mais il sait que, cette nuit, j’ai parlé à quelqu’un par le balcon, et pendant que sa colère se passe, il désire que je sois auprès de ma cousine, dont la sagesse lui inspire la plus grande confiance. Je me contenterai de vous dire que je trouve une certaine satisfaction dans mes chagrins ; car l’amour cause en moi aussi différents effets, semblable au soleil, aux rayons duquel naissent des fleurs tandis que d’autres se flétrissent. L’amour a pénétré dans mon cœur, et en y tuant le ressentiment de mes ennuis, il y a fait naître le seul plaisir de me trouver dans votre maison, sphère charmante qui ferait l’envie du soleil et qui est la digne demeure d’un ange.
Il est facile de juger que vous êtes l’un et l’autre on ne peut plus contents dans vos amours, à la manière dont vous me prodiguez les plus gracieux compliments.
Savez-vous, ma sœur, ce que j’ai pensé ? c’est que pour vous venger du souci que vous donne mon hôte, vous avez cherché un hôte féminin[2] qui me cause à moi un semblable souci.
Vous avez raison.
Je vous remercie de la vengeance.