Page:Calderón - Théâtre, trad. Hinard, tome III.djvu/193

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
183
JOURNÉE III, SCÈNE I.

don manuel.

Elle a eu peur comme une femme, elle a fui comme un fantôme… Je l’ai touchée comme un être humain, elle s’est dissipée comme une illusion. — Vive Dieu ! je ne sais que croire.

cosme.

Moi si.

don manuel.

Et que crois-tu ?

cosme.

Que c’est une femme diable. Et il n’y a rien là d’étonnant ; car si la femme est un démon toute l’année, il peut bien se faire qu’une fois par hasard le démon soit une femme.



JOURNÉE TROISIÈME.


Scène I.

Dans la maison de don Juan.
Entrent DON MANUEL et ISABELLE. Don Manuel marche comme à tâtons. Isabelle le guide.
isabelle.

Attendez-moi dans cette salle. Ma maîtresse viendra bientôt vous y trouver.

Elle sort.
don manuel.

La plaisanterie n’est pas mauvaise. — A-t-elle fermé ?… Oui. Y a-t-il une peine égale à la mienne ? Je revenais de l’Escurial, et ma beauté mystérieuse, cette fée céleste, m’écrit une lettre où elle me dit fort tendrement : « Si vous avez le courage de me venir voir, il faut que vous sortiez cette nuit, accompagné de votre valet. Deux hommes vous attendront dans le cimetière de Saint-Sébastien… (le lieu n’est-il pas bien choisi ?) Ils auront avec eux une chaise à porteurs, etc., etc. » Et en effet. Je monte dans la chaise ; on va à droite, à gauche, en tous sens, jusqu’à ce que j’aie cessé de me reconnaître, et à la fin, je mets pied à terre près d’un portail sombre et noir, et d’un sinistre aspect. — Là, vient à moi une femme, — du moins si j’en juge par la voix et l’apparence, — laquelle me conduit soigneusement à travers l’obscurité, sans me dire un mot… Mais j’entrevois de la lumière par la fente d’une porte… Ô amour, te voilà arrivé au comble de tes vœux !… Je puis voir la dame inconnue. (Il regarde par le trou de la serrure.) Le riche mobilier ! les brillantes femmes ! que cette salle est décorée avec goût ! Que ces dames sont galamment parées !