personne, et d’être à même de la servir à toute heure ! J’ai quitté mon appartement, et je me présente chez vous, madame, pour vous donner la bienvenue, et voir en quoi je pourrais aider à vos femmes.
C’est moi seule qui dois me féliciter, madame ; car lorsque je croyais venir comme une étrangère en Aragon, j’y ai retrouvé, je puis le dire, une patrie… Excusez-moi de vous retenir dans cette pièce qui est commune aux deux appartements. Tout est en désordre chez moi, et je n’ose vous prier d’entrer.
C’est un peu votre faute, et non celle des domestiques ; ils ne vous attendaient pas si tôt.
Il m’a semblé, au contraire, que j’arrivais bien tard. Je ne savais plus, je vous assure, quand je me trouverais de ce côté de la montagne, et je craignais de nouveaux dangers.
Vous aviez donc couru un premier danger avant cela ?
Oui, madame, et si grand, qu’il tient encore mon âme toute émue. (À part.) Car, en ce moment même, il m’effraye plus que jamais.
Racontez-moi cela.
Pour me mettre à l’abri du soleil, dont les rayons de feu brûlaient au loin la campagne, j’étais descendue de ma litière, et j’avais mis pied à terre dans un endroit charmant, véritable place d’armes des fleurs, environnée d’un joli ruisseau comme d’un fossé, et qui pouvait défier toutes les batteries du soleil ; — lorsque de la montagne même sortirent cinq ou six hommes menaçant tout à la fois et mon honneur et la vie de mon père ; — et je tremblais, lorsque par bonheur se présenta devant nous un jeune brigand, à l’air distingué, plein de valeur et de grâce, qui, avec une générosité sans égale… Mais qu’est ce donc ? Vous pleurez ?
C’est qu’en écoutant votre aventure, je me rappelle le plus triste événement de ma vie. — Poursuivez.
Je crains que mes chagrins n’éveillent dans votre esprit le souvenir des vôtres.
Votre père a-t-il vu ce jeune homme que vous me représentez si gracieux et si plein d’attention ?
Il l’a vu, il lui doit tout au moins l’honneur et la vie.