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JOURNÉE I, SCÈNE I.

en moi-même frémir mon âme, je sens mes cheveux se hérisser, mon cœur se resserrer, mon sang se glacer, et la voix et la langue sont près de me refuser leur office… Cette femme s’est avancée vers moi, et son aspect m’a rempli de trouble. C’est au point que dans mon émotion je ne pouvais plus parvenir à écrire… ou, pour mieux parler, effet étrange et bizarre ! tout ce que ma main droite écrivait, ma main gauche l’effaçait à l’instant. Cette image s’est gravée dans mon esprit avec tant de force, qu’il me semble toujours la voir ; et à peine sorti de tant de confusion et d’angoisses, je me demande maintenant si je dors ou si je veille.

wolsey.

Chassez, sire, ces souvenirs pénibles : tout ce que produit le sommeil n’est que chimères et mensonges. — Voici des dépêches qui sont arrivées pour votre majesté, et c’est ce qui m’a fait entrer ici, car j’ai compris qu’elles devaient vous être remises sans retard.

le roi.

De qui sont-elles ?

wolsey.

Celle-ci est de Léon X.

le roi.

Et cette autre ?

wolsey.

De Martin Luther.

le roi.

S’il était permis d’interpréter un songe, vous verriez que ces dépêches sont la réalisation de ce que je viens de rêver. — La main avec laquelle j’écrivais était la droite, ce qui signifie la doctrine véritable pour laquelle je combats avec zèle ; et la lettre du souverain pontife représente pour moi cette partie de mon rêve… Quant aux efforts que faisait ma main gauche pour effacer ces paroles de vérité et de lumière, cela n’indiquait-il pas que, plein de confusion, je verrais réunis ensemble le jour et la nuit, la thériaque et le poison ?… Mais je vais vous montrer à qui doit demeurer la victoire… en élevant au dessus de ma tête les dépêches de Léon X, et en foulant sous mes pieds la lettre de Luther. (Au moment de faire ce qu’il vient d’annoncer, il prend les deux lettres l’une pour l’autre.) Voyons maintenant ce que me mande sa sainteté… Mais qu’est ceci ? et dans quels nouveaux doutes me plonge cette fâcheuse aventure ?… Les dépêches que j’ai élevées au-dessus de ma tête, ce sont précisément celles de Luther… quelle funeste erreur ! et de quoi me menace un pareil présage ?… Je me meurs !… Ô puissances du ciel ! qu’est-ce donc qui me va arriver ?

wolsey.

Tout aujourd’hui vous afflige… Mais, sire, quelle comète avez-vous vue éclairant le ciel de sa sinistre clarté ? quelle montagne avez-vous vue trembler sur sa base ? et quel soleil, se voilant tout à