Aller au contenu

Page:Calderón - Théâtre, trad. Hinard, tome III.djvu/349

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
339
JOURNÉE II, SCÈNE II.

de laisser la reine en ce lieu, je croyais encore lui parler. Pardonnez, excusez mon erreur.

anne.

Vous me demandez pardon de ce que vous m’avez donné le titre de majesté ! Pensez-vous donc que ce mot ait choqué mon oreille ? et ne voyez-vous pas que je vous dois plutôt des remercîments ? Où est, je vous prie, l’offense ? — Plût au ciel, seigneur cardinal, qu’à chaque instant vous commissiez la même erreur, et qu’à chaque instant je l’entendisse ! Plût au ciel, enfin, que je pusse m’entendre donner ce titre, non plus par inadvertance, mais comme m’appartenant légitimement, dussé-je payer un tel honneur de ma vie ! Quelle femme pourrait se fâcher de ce qu’on lui donne un titre si beau et si doux ? — Hélas !

wolsey, à part.

Je puis continuer. (Haut.) Vous avez bien raison, madame, touchant le pardon que je sollicitais… Je pourrais moi-même vous dire bien des choses sur le mot qui m’est échappé, et qui, peut-être, n’était pas tout à fait irréfléchi. Mais ce ne serait pas sans danger, et il vaut mieux se taire… J’ajouterai seulement qu’un sujet si délicat ne doit pas être ainsi traité en passant. — Le ciel vous garde ! Adieu.

Il fait semblant de s’en aller.
anne.

Non, non ! nous sommes seuls, et je ne vous laisse pas sortir que vous ne m’ayez confié tout ce que vous pensez.

wolsey.

Mais ce secret, vous, femme, vous saurez le garder ?

anne.

Par le ciel ! ce sera le secret de la tombe.

wolsey.

Et au besoin le courage ne vous manquera pas ?

anne.

Je vous le répète, vous trouverez tout en moi : silence et courage… car rien ne peut m’effrayer, ni le ciel avec ses châtiments, ni l’enfer avec ses horreurs.

wolsey.

Eh bien ! alors vous serez ma reine. Oui, j’espère vous couronner en Angleterre, si d’abord vous m’engagez votre foi de n’être point ingrate. Car je crains qu’une femme ne cause ma ruine ; et pour cela je m’efforce de me les rendre amies. L’empire du monde appartient à la prudence.

anne.

Puisqu’il en est ainsi, je vous promets sous le serment le plus solennel de seconder vos vues.

wolsey.

Et comment ?