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LE SCHISME D’ANGLETERRE.

le roi.

Allez, Wolsey, allez, fidèle serviteur d’un roi qui vous aime. Rendez-lui ce repos dont un fol amour l’a privé. Assemblez au plus tôt les conseillers de mon État. Le trouble où je suis m’empêche de réfléchir davantage ; et d’ailleurs dans les choses graves la précipitation sert toujours d’excuse[1].

wolsey.

Voilà déjà qu’il me reproche presque mes retardements. Assurons ma faveur à tout prix. Agissons de manière que plus tard il ne puisse pas revenir sur ce qui se sera fait.

Il sort.
le roi.

Oui, je l’avoue, je suis insensé et aveugle, puisque je nie la vérité que j’adore… Je sais bien que Wolsey m’a abusé, et que j’ai cru trop aisément à ses sophismes… Mais la passion dont je suis plein a bouleversé ma raison, et me pousse à méconnaître la vérité et à croire le mensonge. — Non, il n’y a point de crime à ce qu’un homme épouse la veuve de son frère, témoin le grand patriarche Judas, qui voulut que son second fils prît pour femme la veuve de son fils aîné[2]. Cela est fondé tout à la fois et sur la loi naturelle et sur l’Écriture sainte. Et en effet pourquoi cette femme n’aurait-elle pas épousé le frère de son premier époux, alors sut tout qu’elle n’avait pas eu d’enfants du premier lit ? Donc si ce mariage n’avait rien de contraire au droit naturel ni au droit écrit, le pape a pu, pour l’avantage du royaume, accorder cette dispense. Et quand même il n’y aurait pas eu ce précédent, le pape aurait pu encore agir ainsi, puisqu’il est le représentant de Dieu sur la terre. C’est donc moi seul qui conteste à tort son pouvoir pour satisfaire ma passion. — Mais il faut sacrifier la reine, toute chrétienne qu’elle est, à mon repos, à mon bonheur. — Pardonne, Catherine, pardonne si j’enlève la couronne à ton front pour la poser au front d’une autre. Le ciel m’en punira peut-être, et le vengera. Peut-être cette couronne que tu vas perdre aujourd’hui à cause de tes vertus, celle qui en hérite la perdra quelque jour à cause de sa vanité, de sa luxure et de son ambition. — Mais j’obéis à mon étoile.


Entre PASQUIN.
pasquin.

Je viens ici réfléchir un peu à l’occasion d’un doute qui s’est élevé dans mon esprit sur mon emploi : Celui qui a un double visage, un visage a deux faces, ne doit-il pas payer deux fois ?

le roi, se parlant à lui-même.

Quelle situation que la mienne ! si je n’obtiens pas l’objet de mes désirs, je meurs d’amour, et si je l’obtiens, je meurs de douleur.

  1. Que en cosas graves siempre las disculpa
    La prisa con que se hacen.

  2. Voy. la Genèse, chap. XXXVIII.