Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/15

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lui compta pour sa réputation, tandis qu’au même âge, son arrière-neveu ne devait avoir mis au jour que de timides embryons dans une Revue rennoise.

C’est que Leconte de Lisle fut le vrai fils de la muse tardive ; ses compositions ne parvenaient à leur état de vigueur définitive qu’en passant par certaine indécision du premier jet, et ce n’est pas avec une pareille faculté d’élaboration lente qu’on écrit, à vingt ans, les Odes et Ballades comme Victor Hugo, ou comme Alfred de Musset À quoi rêvent les jeunes filles ; on n’écrit même pas, à vingt-cinq, les Élégies érotiques comme Parny.

Aussi, de son premier séjour en France, Leconte de Lisle ne retira d’autre avancement qu’un très pauvre début dans la littérature. Pour mûrir, ses dons de poète avaient besoin de s’étayer à la science comme les ceps rares à l’espalier, et, pendant les années passées à Rennes, il chercha son meilleur appui, fit une étude approfondie du grec, lut beaucoup d’histoire, visita la Bretagne, apprit l’italien. Il préparait ses forces ; c’est son premier temps de germination.

Rebelle à l’étude du droit, il n’avait pu passer qu’un premier examen. Sans avoir conquis sa licence, il regagna son île et s’établit à Saint-Denis, la capitale. L’île Bourbon n’a guère en étendue plus de quinze lieues de long sur dix de large ; en quatre heures de voiture, Leconte de Lisle pouvait se rendre à sa ville natale ; et cependant les dix-huit mois qu’il lui fallut rester à Saint-Denis lui parurent dix-huit années d’exil. Exil cruel, dont il parlait dans ses lettres à ses amis comme d’un supplice d’enfer, il comptait les heures, les minutes, en prisonnier qui succombe sous le poids du plus douloureux des ennuis.

Il en vint à trouver l’air de son pays irrespirable. Sans doute lorsque, fixé plus tard en France et séparé de son île par deux mille cinq cents lieues de mer, il aura connu tant d’heures découragées, alors il