Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/204

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de s’imputer des honneurs et d’en usurper innocemment les insignes. Au mariage de Catulle Mendès et de Judith Gautier, il fut témoin avec Leconte de Lisle. Par une de ces exceptions qui se renouvelaient quelquefois dans son existence, il ne manquait pas d’argent et, lorsqu’il vint chercher le maître qui l’attendait le chapeau sur la tête et prêt au départ, il l’arrêta sur le palier, devant la porte refermée : « Regardez, » dit-il, et, d’un geste large, il ouvrait son pardessus en laissant voir, retenues à son habit par une énorme brochette, la croix de commandeur d’honneur et toutes les décorations pontificales. Il avait choisi les spécimens les plus grands qu’on put se procurer, des modèles à suspendre en devanture de magasin pour tirer l’œil des acheteurs. Les rubans rouges, bleus, noirs, avec leurs raies et lisérés, n’étaient pas moins disproportionnés. Villiers, tendant le torse, semblait se développer tout entier pour mieux éblouir Leconte de Lisle qui, le premier moment de stupeur passé, ne put retenir un violent éclat de rire :

— Mais vous avez l’air d’une vitrine, mon cher ami. Quittez-moi cela. Je serais obligé de vous abandonner à quelque étalage.

Et Leconte de Lisle fit mine de vouloir rentrer. Villiers n’en était pas à sa première lubie. D’autres fois, en plein boulevard, il arrêtait l’ami qui l’accompagnait et, déboutonnant son pardessus, lançait du même ton de gloriole satisfaite son appel à l’admiration : « Regarde. » L’ami voyait toute la bijouterie de mascarade, haussait les épaules et se remettait en route. Mais si ni le dédain, ni les rires ne corrigeaient Villiers, ils l’avaient accoutumé du moins à l’effet qu’il pouvait produire. L’attitude de Leconte de Lisle le désappointa sans trop le surprendre ; il tira sur la brochette, arracha les rubans, engloutit dans sa poche les pendeloques qui tintèrent pendant la descente de l’escalier et sur lesquelles il s’assit dans la voiture ;