Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/207

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services de princes, passer de l’un à l’autre, du roi de France au duc de Bourgogne, c’était chercher le meilleur intérêt auprès d’un nouveau maître, et, si cela ne témoignait guère d’une âme constante et noblement fidèle, du moins ce n’était pas trahir. Toutefois les bourdes d’un dramaturge méritent-elles qu’on les relève, sans compter qu’à cinq cent cinquante ans de distance, Villiers devait être assez embarrassé pour établir la légitimité de ses revendications ; mais il ne put supporter la pensée d’un Villiers ravalé devant un public vulgaire au rôle infâme. La pièce tenait la scène depuis quelques années, grief de plus ; il profita d’une reprise qui se fit au théâtre du Chàtelet et réclama l’interdiction. À cette époque, la loi de 1818 sur la presse était muette quant aux atteintes portées ou soi-disant portées à la mémoire des morts[1], et les protestation aussi fantaisistes que celle de Villiers avaient beau jeu pour se produire. Faute d’argent, Villiers ne pouvait entamer l’action judiciaire ; eh bien, sans finir ses phrases, par ses moyens mimiques de séduction, il sut enjôler un avoué qui fit les frais, un avocat qui consentit à plaider. Il leur démontra que, voués aux petites causes, ils allaient en défendre une grande. Le procès dura longtemps, suscita des enquêtes sur des enquêtes ; l’avoué ne se lassa pas. À force de se l’entendre répéter, il avait fini par se persuader qu’il avait une âme de poète, qu’il se devait ce sacrifice à lui-même ; peut-être n’avait-il pas lu quatre vers de Désaugiers. Il fournit quelques petites sommes à son client titré pour l’aider à faire bonne

  1. Ce fut seulement en juillet 1881, qu’une loi nouvelle sur la liberté de la presse mit fin, par l’article 34, aux irritantes susceptibilités des familles, en déclarant que le droit de défendre en justice la mémoire d’un mort revient seulement à l’un des héritiers prouvant qu’il est visé, lui vivant, dans la personne de ce mort. L’exemple de Villiers apporte un argument en faveur de cette règle d’apaisement.