Aller au contenu

Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/211

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

thias[1] une fortune égale à celle des plus grandes familles princières du monde. » L’ami, désireux de procurer un suprême plaisir au vieillard, en faisant semblant de croire à la réalité d’un si beau rêve, voulut énoncer un nombre énorme et parla de cinquante millions. Le père Villiers répondit par une grimace de dédain : « Quelle misère ! cinquante millions ! » Il se releva, vécut encore cinq ou six ans, de plus en plus pauvre et de plus en plus convaincu que la semaine suivante le verrait riche au delà de toute expression. Sans son fils qui se déclara prêt à plaider contre la captation, il finissait par épouser une créature horrible, qui se prétendait riche et qui voulait se refaire, avec le titre, un peu de considération.

Ce titre, que se disputèrent les filles en quête d’honneur pour le prix de leur argent pollué, ce titre que Villiers, le poète, fit miroiter comme un attrape-allouettes aux yeux des héritières de roture, mais qu’il ne put se résigner à vendre, devait à jamais disparaître.

J’ai dit que Villiers, assez malin pour ne pas devenir la victime d’escrocs, n’en partageait pas moins, dans une certaine mesure, les illusions de son père ; il ne croyait pas aux mensualités de vingt-cinq millions ; mais, tout en courant après quarante francs, il avait confiance en la fortune : « L’hiver prochain, disait-il volontiers, nous serons sortis de là… Bon feu… bons fauteuils oreillards[2]… » Ni fauteuils, ni feu. Ses rêves intenses de richesses aboutirent à ceci qu’il dut accepter, lorsqu’il tomba malade, une petite pension

  1. Villiers signait de ses deux premiers prénoms Philippe-Auguste, pour se rattacher par un trait de plus à son aïeul le grand-maître de Malte ; mais c’est le troisième que, par le choix de sa famille et pour l’appellation courante, il portait réellement.
  2. Munis d’accotoirs.