Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/222

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ne peut se sculpter dans le granit comme les sujets d’histoire ou les compositions de nature morte ; il semblait donc une gêne aux Parnassiens préoccupés de donner, à l’égal du statuaire ou du peintre, le relief en poésie. Le mot d’ordre pour le Parnasse fut alors d’évoquer les êtres et les choses en leur puissance réelle, de les « faire voir » suivant la formule préférée du moment.

Ce désir de peindre avec les mots, « d’exalter le tableau », Leconte de Lisle le poussa jusqu’à l’extrême vigueur, jusqu’à la truculence et par exemple, lui qui poursuivait de ses blasphèmes le farouche mysticisme du Moyen Âge, ne pouvait s’empêcher de s’attarder à la description des tueries et des tortures qui lui faisaient le plus horreur. Dans la vie courante, la vue d’une simple coupure l’eût fait blêmir ; il se trouvait mal à la visite d’un service de chirurgie dans un hôpital et Flaubert l’en gouaillait assez cyniquement ; mais, littérairement et pour le seul plaisir de rendre l’éclat des images, il se complaisait à décrire les corps tordus dans la géhenne, les membres rompus, les poitrines qui râlent, les chairs qui brûlent, le sang qui coule et qui fume. Le sang particulièrement le stimule par son odeur et par sa couleur qui l’enivre de poésie :


Toi, dont la vieille terre est avide, je t’aime.
Brûlante effusion du brave et du martyr,
Où l’âme se retrempe au moment de partir !

Ô sang mystérieux, ô splendide baptême,
Puissé-je, aux cris bideux du vulgaire hébété.
Entrer, ceint de ta pourpre, en mon éternité ![1]


Pour servir de thème à l’un de ses plus ardents poèmes d’amour, il n’imagina pas de motif plus ex-

  1. Le vœu suprême (Poèmes barbares).