Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/242

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liberté restreinte qui ne permet pas, faute de coudées larges, les mouvements aisés et les relations faciles. Mallarmé se plut à passer des heures tranquilles en un réduit modeste, un coin de maison sous un coin de verdure, non loin de Fontainebleau sur le bord de la Seine qui, par les ciels clairs, reflète le grand rideau de la forêt. En face de lui, le rideau se dressait comme un mur barrant la fuite vers tout horizon ; à droite la rivière disparaissait en un tournant ; à gauche un marchand de matériaux pour la construction avait fait de la rive un quai de débarquement où venaient s’amarrer les chalands chargés de plâtre, où s’amoncelaient les tas de briques et de sable ; on eût dit qu’autour de Mallarmé la fatalité disputait l’espace et prenait à tâche de resserrer le champ de mouvement et de vision. Pendant les mois d’hiver il régnait à son quatrième étage de la rue de Rome sur les Décadents qui l’avaient élu : mais son royaume avait d’humbles limites. L’appartement ne comportait pas de salon. Les réceptions se faisaient dans la salle à manger, les mardis. Douze à quinze jeunes gens, tous respectueux de leur Prince, venaient boire des grogs et fumer à perdre la respiration. Et, comme si c’était le destin de Mallarmé de vivre constamment à l’étroit, ces quelques jeunes gens constituaient tout son cénacle. Très délicat, il avait senti le petit ridicule qui résultait pour lui du fait d’avoir été proclamé par un si faible nombre en grand apparat électoral.

Sans doute il jouit parmi certaine jeunesse d’un véritable renom. À Bruxelles, où ses poésies ont été publiées en in-quarto, je ne sais quel journal put, sans soulever trop de clameurs, établir un parallèle entre ce prince des Décadents et Victor Hugo prince du Romantisme, et le parallèle ne concluait pas à l’avantage du Romantique. Mais encore cette glorification se produisit-elle dans les centres spéciaux de la nouvelle littérature, si bien que la fortune, qui