Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/246

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette partie de forêt, offrant quelques allées en voûte, lui plaisait par des airs proprets de parc anglais[1]. Avec le même esprit de raison il limitait ses désirs comme il satisfaisait ses goûts. Très frileux et ses moyens ne lui permettant pas le luxe d’un chauffage à grand développement, il s’était fait fabriquer un petit poêle, mignon de formes et qui tiédissait la pièce en brûlant deux bûches. Il travaillait tout auprès enveloppé de couvertures et, comme il appliquait volontiers aux objets réels son idéalisation d’imaginatif, il divinisait son poêle. Par exception seulement les actions de sa vie concrète affectaient une apparence de pratique un peu chimérique ; pourtant elles procédaient du même ordre d’idées décoratives judicieusement économiques. Il avait rencontré dans le midi, je crois, lors de ses flâneries aux bibelots, deux appuis de fenêtres provenant de quelque ancien hôtel et qui l’avaient séduit par leur belle ferronnerie ; il imagina de les utiliser comme battants d’un lit dont il fit forger les traverses. Le lit, un peu large pour les petites chambres parisiennes, menaçait l’épiderme avec ses arêtes vives et déchirait les robes avec les pointes de ses rehauts ornementaux ; mais, par son style, il correspondait aux exigences de forme dont se nourrissait la vision de Mallarmé.

Car, si Mallarmé, pour échapper à l’étroitesse de la gêne, rechercha dans le domaine de l’idéal des espaces moins restreints, jamais il ne put dégager sa pensée des choses matérielles qui servaient de prétexte à ses songes. Il fut de ces méditatifs secondaires qui planent, l’esprit vers le ciel, les yeux sur la terre et, faute de posséder un cerveau de grande

  1. Seuls les papiers gras laissés par les dîneurs le choquaient. La veille d’un jour où Mirabeau devait venir le voir et passer par la forêt. Mallarmé, s’étant armé d’un grand sac et d’un crochet, était allé faire la toilette de la route par laquelle arriva son visiteur.