Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/298

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de nos jours en défaveur, d’autant plus qu’elle avait joui d’un suprême crédit auprès du Parnasse. La jeune école se prit à reprocher au vers d’ancien moule une certaine régularité monotone qui tourne à l’artifice de mnémotechnie. Retenu par la mesure qui lui marque le pas, le récitateur perd toute liberté d’allures ; il est le prisonnier qui marche avec des entraves, un captif de la littérature et déjà, du temps de Leconte de Lisle, la jeunesse commençait à proclamer la nécessité du vers libre qui se débite comme de la prose, ainsi que le vers anglais, et qui ne gêne l’interprète ni par la répétition syllabique des rimes, ni par le balancement uniformément alterné des pieds.

Cette théorie dont les premiers balbutiements avaient alors leur écho dans le Parnasse, excitait la verve de Leconte de Lisle. Le bel avantage de laisser à l’interprète une part d’initiative dont il abuse pour travestir, avec une inintelligence coutumière et selon des fantaisies niaisement inventives d’une individualité secondaire, un texte qui doit être au contraire si nettement arrêté que le sens et le rythme en soient saisis et rendus par le premier singe qui répète. Et vraiment il restait ahuri de la « jeune outrecuidance » qui se permettait de compter pour quelque chose les droits à l’indépendance du débit contre le droit initial de la conception souveraine. Et si, mécontent du rang subalterne auquel le condamne son rôle intermédiaire, le récitateur de vers veut secouer le joug de la métrique pour se mettre librement en valeur au lieu de mettre en valeur le poème, s’il prétend ne pas abdiquer devant la littérature, il faut alors que la littérature abdique devant lui, qu’elle cesse d’être l’expression unique et définitive pour devenir de la matière orale, soumise aux exigences des succès d’acteur.

Quel peut être pour un auteur le supplice d’une pareille déformation de lui-même. Leconte de Lisle en fit l’épreuve quand l’Odéon représenta les Érynnies,