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Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/78

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qu’il a débaptisées dans sa dernière édition et qualifiées chansons suédoises, afin d’effacer tout souvenir de rapprochement avec les ennemis de la France, les « odieux Germains » dont il renie jusqu’à la littérature. De la part d’un tel croyant des lettres, c’est le témoignage le plus significatif d’une implacable rancune.

Louis Ménard ayant commencé, Leconte de Lisle suivit. Sa Christine[1] est une suave Christel rhénane, dont le fiancé défunt revient en suaire, chaque nuit, pour échanger avec elle des baisers d’amour qui ne voudraient pas finir ; mais, rappelé dès l’aube à son destin funèbre, le fiancé retourne sous la terre glacée. C’est encore trop pour Christine de la séparation intermittente que chaque lever de soleil renouvelle. Lasse des interminables jours, elle accompagne ce fiancé dans la tombe et va dormir près de lui sa nuit nuptiale.

Tel est le genre qui faisait pâmer d’émoi les âmes rêveuses de ces temps candides et qui suffisait pour assurer le triomphe de Thalès célébré par les poétesses. Mme Blanchecotte, Mélanie Bourotte, « Cotte et Rotte », comptèrent parmi les élèves préférées du maître. Elles étaient à l’aurore de leur prime jeunesse et chantaient comme des oiseaux sensibles. On conçoit qu’il eût le souci de garder pour lui seul de telles admiratrices et qu’il s’efforçât de maintenir les rivaux à bonne distance de son pachalik.

Ainsi préparée, la brouille devait tôt ou tard se produire. Elle éclata pour la cause la plus futile. Leconte de Lisle et Thalès Bernard s’intéressaient aux évocations, débarquées tout récemment d’Amérique et qui jouirent aussitôt en France d’une singulière faveur, grâce à leur infatigable vulgarisateur Allan Kardec. Certain soir, un jeune médium, étendu sur

  1. Poèmes barbares. — De la même époque datent les Elfes, dont l’inspiration germanique n’est pas moins évidente.